1762-01-19, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Sans une assés forte fièvre de fluxion, qui m'a allitée pendant plussieurs jours Vous auriés apris Monsieur au moins huit jours plus tôt le plaisir que m'a causée Votre charmente lettre du premier de ce mois, de même que le beau Sermon de Smirne, que j'ai trouvée d'une force étonante, et qui me paroit devoir persuader le plus incrédule.
Je regrete dans ce moment la mort de Benois XIV pour savoir le jugement qu'il en auroit porté et s'il auroit prononcé avec la même équité que sur certaine tragédie. Ce qu'il y a de certain c'est qu'on voit et qu'on sent que l'esprit et le coeur du Prédicateur y respirent à leur aise. Et que dans pareilles ocasions il vaut mieux prêcher en Suisse qu'à Madrid et Lisbone. Ce que je sais bien encor, c'est que je Vous ai mille obligations Monsieur de ces jollies étrenes et que je Vous conjure de continuer à me comuniquer tout ce qui Vous parvient de cet illustre auteur, dont je chéris et admire de toutes mes facultés les productions qui émanent de Sa plûme. Si je n'en suis pas toujour digne du moins ai je besoin Monsieur de ces consolations qui me font oublier l'amertume de nos souffrances et adoucisses nos peines. J'ose me flatter de Votre Amitié qu'elle ne me refusera pas cette resource à mes maux. En attendent je n'ai pas tardée un instant à faire parvenir à la Comtesse de Baswiz la lettre que Vous lui avés adressée. Nous avons encor nombreuse compagnie ici et à Altenbourg. Et quoi qu'elle nous soit fort onéreuse il faut avouer que nous avons parmis des persones bien aimables et de beaucoup de mérite. Vous sentés bien Monsieur que celles là sont de Votre nation: auquels je ne cache assurément pas l'honeur que Vous me faite de m'écrire. Ce reliéf que je me done produit son effet mais il rend en même tems impatiant de voir souvent et de Vos lettres et de Vos autres productions. Que dite Vous Monsieur du pacte de famille entre la France et l'Espagne? pour moi je le regarde come un chef d'oeuvre de la sagesse et de l'habilité du Duc de Choisseul. Savés Vous que j'ai fait la conoissance de Mr: le Maréchal de Broglie qui s'est arrêté ici pendant deux jours. Si Vous êtés bien avec la Divinité implorés la de nous doner la paix. Nous somes touts anéantis si elle ne se fait pas bientôt. Hélas qu'elle nous seroit nécessaire dans notre particulier. Obtenés nous donc si Vous pouvés cette faveur du Ciel. Toute ma famille me charge de mille assurences d'amitié pour Vous, l'aimable Buchwald est bien compris sous ce nombre. Mes sentiments Monsieur Vous sont conus, ils sont aussi vifs qu'inaltérables. Puisse t'ils être dignes de la continuation de Votre Amitié, que je Vous demande avec ardeur.