1756-04-06, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

J'avoue Monsieur que plus j'aplaudis et j'aquiesse aux réflexions de Votre lettre du 22 dp, et plus aussi suis je surprise, étonée, fâchée même, des nouvelles que Vous me donés par la Vôtre du 24 dp; convenons Monsieur qu'il y a des circonstances dans la vie, que la prudence humaine ne peut ni prévoir, ni éviter: et cepandant il n'y en a point non plus selon moi, qui proviennent du hazard; si c'est une consolation de n'être point l'artiste de ses propres peines, c'est un soulagement de plus de n'avoir rien à reprocher à nos Amis; tant qu'il y a encor du remède pour se tirer d'embaras il faut s'en servir promtement pour qu'il deviene efficasse: la pluralité des Dieux c'est oposé souvent à leur culte: l'offrande la plus pure est celle du coeur que le monde ignore: tout ce ci Monsieur ressemble assés à un logogrif; je Vous demande pardon, mille petites ocupations dérangent et obscurcissent aujourdhuy mes idées: notre esprit prend des vapeurs come notre tête; j'ai été charmée de trouver Votre nom parmis les souscrivants du livre de la Beaumelle: le stile en est joli quoique les faits sont la plus part conus et que le tout tient du roman: un autre défaut que j'y trouve c'est qu'il cherche trop l'esprit: à force de battre le fer il en sort des étincelles; il est bien audesous de celui qui, toujour naturel, prend un essor quand il lui plait et redescent avec autant de grâce que de dignité, dont le vol est aussi rapide que la marche légère et qui, soit qu'il se couche ou qu'il fende les airs, est toujour grand, toujour beau et toujour admiré; je Vous défie Monsieur de souhaiter avec plus d'empressement Votre retour dans nos climats que nous tous le désirons; continués moi Votre amitié et soyés sûre de la miene: le Duc, mes enfans et l'aimable Buchwald Vous font mille complimens: je suis véritablement et pour la vie

Monsieur

Votre très affectionée amie et servante

Louise DdS