à Gothe 3 may 1757
Depuis quelque tems Vos lettres Monsieur me parvienent toutes fort tard: celle que j'eus la satisfaction de recevoir étoit du 22 dp.
Aparement qu'on les ouvre en chemin: ce qui m'en fait plaisir, c'est que les curieux y sont toujour attrapés, et que je défie surtout, de trouver dans les mienes de quoi satisfaire leurs désirs indiscrets: il ne m'en coûte pas beaucoup d'être prudente puisque tous mes voeux n'aboutissent qu'au bien comun, à une promte paix qui soit stable. L'humanité pâti dans ces troubles: et nous autres qui n'avons aucune part à tout cela nous en avons la charge. Vous verés Monsieur par l'extrait ci joint la situation présente de la Boheme: son état est violent et ne s'auroit durer: selon toute aparence il changera d'une ou d'autre façon par un terible carnage. Je crois bien que Hanovre eût désiré la neutralité mais naturellement sous des conditions honorable et possible: il semble que l'idée en soit passée depuis que Le Duc de Cumberland est sur le point de se m'ettre à la tête de l'armée de Son Père. Cette Neutralité auroit pus arretter le torend, et servir d'acheminement à une paix prochaine. Ceux qui prétendent entendre un peu le métier de la guerre disent que le Roi de Prusse a sagment fait d'évacuer Vesel, parce que Vilard ne sauroit être partout et qu'à un prochain accomodement, si ce Roi n'est pas écrasé auparavent, il faudra pourtant lui rendre son Pais de Cleve. S'il perd tout il perdra Cleve come le reste. Je doute que le Roi de Prusse soit attentif aux libeles qu'on débite contre lui, il a des objets trop vastes pour que ces niaiseries lui puisse faire impression, ou vous nuire dans son esprit: d'ailleur Monsieur il conoit trop Vos ouvrages pour pouvoir s'y méprendre: sans vouloir m'en faire acroire je parirai toujour de ne me point tromper à cet égard. Si ce n'est pas mon esprit c'est du moins mon coeur qui est clairvoyant: sans être grand Astronome l'on peut distinguer la lune du Soleil n'est il pas vrai? Voilà mon cas, ajoutés y Monsieur beaucoup d'amitié pour Vous, beaucoup de plaisir, d'inclination et d'habitude à lire ce qui paroit sous Votre nom. Conservés moi Votre cher souvenir, honorés moi souvent de Vos lettres; et soyés persuadés Monsieur qu'il me faut un amusement pareil dans ces tems d'orage et de calamité, pour me distraire et pour me consoler. Je n'en suis pas tout à fait indigne par les sentimens d'estime et d'admiration que je Vous porte et avec lesquels je suis pour la vie
Monsieur
Votre très affectionée amie et servante
Louise Dorothee DdS
Le Duc, mes enfans, et l'aimable Buchwald qui composent ensemble ma famille et ma tendresse, sont tous infiniment sensible aux marques de Votre Amitié et tous prêt à Vous témoigner, combien ils Vous honorent et Vous chérissent.