1754-11-23, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Votre orphelin chinois est arrivé à bon port: il est charment, il est adorable, il est digne en un mot, de l'auteur de ses jours; je l'ai lus et rélus avec une joye, un plaisir et une satisfaction inexprimable: j'y ai trouvée des tableaux d'une beauté ravissante, d'une force infinie: des maximes qui élèvent l'âme et qui anoblissent l'humanité: il n'y a qu'Alzire et Jeane que je préfère à cette production de l'esprit et du sentiment; La Grande Maitresse des coeurs sait cette belle trajédie toute par coeur, elle en est enchantée au de là de l'expression; je Vous aurois témoignée plustôt ma joye et ma reconoissance Monsieur, si une indisposition des plus opiniâtre ne m'eût retenue au lit pendant trois semaines: elle est cause encor de ce que je n'ai répondue encor à Votre dernière aimable lettre; Cette montagne noire quadre parfaitement avec tout le Voyage de cette Cour embulante et elle y est aussi nécessaire que le merveilleu dans un poème épique, et les avantures dans un roman; il y a des gens qui tienent de l'extraordinaire come du sang de leurs Pères.

Madame Denis est trop aimable pour me tenir longtems rigueur et pour ne me point laisser jouir le printems prochain du plaisir de revoir son cher Oncle: pour cet hiver je l'aime trop pour exposer sa santé et sa vie aux frimats de la Turinge et je préfère volontier la privation de sa chère société que de mettre ses jours en danger; Les gazettes nous assurent Monsieur que Vous passeréz Votre hiver à Manheim; je Vous prie de me dire ce qui est en; toute ma famille Vous ambrasse d'inclination, la Buchwald Vous fait mille complimens et moi je suis avec toute la vivacité des sentimens que Vous me conoisséz et que Vous Vous êtes si bien aquis

Monsieur

Votre très affectionée amie

Louise Dorothee Dd Saxe