1757-01-12, de Charles Theodore von Sulzbach, Elector Palatine à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous suis très obligé monsieur de L'Essai sur l'histoire générale que vous m'avéz envoiée.
Je la lirai avec toutte l'attention que vos ouvrages méritent à si justes titres; on ne peut s'instruire plus solidement et agréablement que par des faits historiques choisies, et traités par un génie telle que le vôtre.

Vous avéz bien raison de dire que les siècles passés n'ont pas produit d'événements plus singuliers que ceux que nous vojons sous nos yeuxs; ce siècle poli qui devoit mème passer pour un siècle d'or, à peine, est il au delà de sa moitié, qu'il est souillé par l'assassinat d'un grand roi. Il me paroit que notre Siècle ressemble asséz à ces Syrènes dont l'une moitié étoit une belle nimphe et l'autre une affreuse queue de poisson. Ce seroit pour moi une vraie satisfaction de pouvoir m'entretenir avec vous sur de pareilles matières, et j'espère même que votre santé vous le permettant, les sentiments que vous vouléz bien avoir pour moi me procureront bientôt ce plaisir; Si en tout cas vous en seriéz empêché faitte moi le plaisir de me confier vos idées sur la situation présente de L'Europe. Vous pouvéz m'écrire en toutte liberté. Vous ête dans un pays libre et je suis aussi discret et honête homme qu'aucun de vos républicains. Je vous prie de brûler ma lettre et d'être persuadé de l'estime toutte particulière avec laquelle je suis monsieur

votre très affectionné

Charles Theodore Electeur