1759-01-16, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Il me siéroit assurément très mal Monsieur si je voulois entrer en lice avec Vous, pour Vous disputer si ce monde est le meilleur ou le pis des mondes possibles; d'ailleur je suis persuadée que toutes ces thèses métaphisiques ne sont pas mêmes susceptibles de démonstrations mathématiques.
Mais si je devois Vous dire, le quel de ces sistèmes qui regarde l'existence de ce monde, je préfère selon mon goût, je Vous avouerai que celui de l'optimisme me plait le mieu parce qu'il me console le plus. Il est certain que dans toutes les inquiétudes que j'ai, dans touts les dangers qui me menacent, et dans toutes les douleurs que je souffre, rien ne m'inspire plus de patiance, de courage, et de confiance, que de pouvoir m'assurer que tout ce qui m'arive ne peut m'ariver qu'avec le consentement de celui qui dirige tout, qui est le Maitre et le créateur de cet univers, qui est la Sagesse et la bonté même: si l'être Suprême est Sage et bon, il faut que tout ce qui est l'ouvrage de ses mains lui ressemble, come tout effet ressemble à sa cause, il faut donc dis je que ce monde soit le meilleur de tous les mondes possibles, puisque s'il ne l'étoit pas Son divin Artiste manqueroit ou de volonté ou de d'intelligence: ce qui me paroit contradictoire avec la Suprême Sagesse et avec la suprême bonté. Mais il ne faut pas que je confonde les choses et que je prene pour le Monde entier le petit globe que nous habitons, qui n'est qu'un grain de sable en comparaison de tout L'univers. Il y a tant de probabilité que ces Astres que nous voyons entre dans le composé de cet univers, qu'on ne peut pres que pas douter que notre habitation n'en soye la plus petite partie, mais toujour un chainon dans cette grande chaine. Je ne puis me figurer un monde sans plaisirs et sans peines où il y auroit des êtres sensibles et intelligents: mais je puis très bien imaginer un monde où les biens et les maux seroient tellement compassés, calculés, que les maux mêmes conspireroietn à la perfection du tout: je le répète, j'envisagerois un tel monde come l'ouvrage le plus digne de la plus haute Sagesse et de la Suprême bonté. Je m'aperçois mais trop tard Monsieur que je suis tombée dans le piège que je voulois éviter. Je ne voulois pas faire une dissertation, je ne voulois que Vous dire mes consolations qui me déterminent plus tôt pour une opinion que pour une autre et en entrant dans les motifs je me suis entrainée moi même dans ce dédale de réflexions où Vous pourés me former mille objections. Mais comptés que je ne Vous enuyerai plus de cette façon là. Nous somes entourés de nouveau des troupes de l'empire mais nous ignorons encor le but de ces marches : nous voyons bien que tout chemine vers Erfurth et par concéquend vers la Saxe Electorale: nous nous serions bien passés de cette visite qui nous attirera peutêtre encor celle des prussiens et le théâtre de la guerre dans nos contrées. Le tems doux qu'il fait ici est un phénomène singulier dans cette saison et pour notre climat: depuis trente Ans que je suis mariée et que je metrouve dans la Thuringe je n'ai rien vus de pareil. Je ne fais presque pas chauffer mes chambres, et nous n'avons eus pres que point de neige ni de vent du nord; tout ceci a favorisés et inspiré l'envie à nos braves guerriers, je pense, à venir s'établir chés nous. Je n'ai pas eu l'honeur de conoitre personellement La Margrave de Bareuth mais je la regrete parce que tout le monde la loue et parce qu'il me paroit Monsieur que Vous ête sensible à sa perte. Votre dernière lettre m'est parvenue fort tard c'est ce qui m'y fait répondre de même. Je crois Vous avoir apris la détention du Feld Maréchal Comte de Sekendorff, pour la raison je l'ignore come bien d'autres choses. Conoissés Vous le livre de l'esprit de Mr: Helvetius? qu'en pensés Vous? il me paroit dangereu à lire, cepandant j'avoue qu'il m'amuse beaucoup: quand je dis dangereu j'entens pour la jeunesse, car à mon âge on ne change pas aisément sa façon de penser et de sentir. Le Duc et mes enfans me charge de mille Amitiés pour Vous, ils sont infiniment sensibles à Vos vœux et à Votre souvenir. Vous ête le bien aimés ici. La Buchwald Vous présente son estime et sa tendre affection, j'en fais autant et suis pour la vie

Votre admiratrice et Votre servante.