1750-03-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas René Berryer de Ravenoville.

Monsieur le comte d'Argenson, monsieur, me fait dire par mr le président Henaut qu'il pense comme moy sur le compte de ceux qui troublent la société par ces libelles, mais que ne pouvant entreprendre sur les fonctions de ceux qui président à la librairie, il se trouve réduit à de bons offices.
Voylà les propres mots de la lettre de M. le président Henaut. Quels meilleurs offices monsieur qu'un mot de la bouche d'un homme comme vous? Il est bien certain que si vous voulez envoyer chercher la Porte et surtout Freron, contre le quel tous les honnêtes gens sont indignez, et leur représenter avec l'autorité de votre place, et celle de la persuasion qu'ils ne doivent pas attaquer personellement les sujets du roy, vous les ferez taire, etvous rendrez service àla société et aux lettres.

Il est douloureux qu'à mon âge, entouré d'une nombreuse famille composée de magistrats et d'officiers et étant moy même officier de la maison du roy, je sois exposé continuellement aux insolences de ces barbouilleurs de papier. Il n'est pas permis de se faire justice à soy même. Je ne la demande qu'à vous monsieur et je vous suplie au nom de tous les honnêtes gens d'avoir la bonté d'envoyer ordre à Freron de venir vous parler, et de daigner luy donner celuy d'être plus circomspect. Il demeure rue de Seine chez un distillateur. Vous pouvez monsieur finir d'un mot tout ce scandale. J'ose l'espérer de votre sagesse, de votre justice et de vos bontez pour moy. J'ay l'honneur d'être avec la plus respectueuse reconnaissance,

monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire