1765-04-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges, il me parait que le tripot est un peu troublé.
Si les comédiens étaient assez fermes pour dire, nous ne pouvons faire les fonctions de notre état si on l'avilit, nous sommes las d'être mis en prison si nous ne jouons pas, et d'être excomuniez si nous jouons; dites nous à qui nous devons obéir du roy ou d'un habitué de paroisse? mettez nous au dernier rang des citoyens, mais laissez nous jouir des droits qu'on acorde aux gadouards, aux boureaux et aux Frérons, si di je, ils tenaient ce langage et s'ils le soutenaient, il faudrait bien composer avec eux. Mais la difficulté sera toujours d'attacher le grelot. Je me flatte que vous avez été un peu amuséz par les dernières feuilles de l'abbé Bazin. Si je peux en attraper encore, j'auray l'honneur de vous en faire part.

Il y aura des misérables qui malgré les protestations honnêtes et respectueuses de l'abbé, croiront toujours qu'il a eu des intentions malignes, mais il faut les laisser crier.

Je ne sçais à qui en a le tiran du tripot. Mon cher ange a fait tout ce qu'il devait; si le tiran persiste dans sa lubie mon ange n'ayant rien à se reprocher l'abandonnera à son sens réprouvé.

Je vous rends toujours mille grâces aussi bien qu'à Monsieur le duc de Pralin de la vertu de persévérance dans les arrangements avec le parlement de Bourgogne. Je crois que le premier président et monsieur de Fontète sont àprésent à Paris. Ainsi on sera à portée d'obtenir d'eux des paroles positives.

On n'a donc point voulu permettre le débit de la destruction jésuitique qui est bien aussi la destruction des jansenistes. Tous ces marauts là en ites, en istes et en iens sont également les ennemis de la raison. Mais la raison perce malgré eux, et il faudra bien qu'à la fin ils n'aient d'empire que sur la canaille. C'est à mon gré le plus grand service qu'on puisse rendre au genre humain de séparer le sot peuple des honnêtes gens pour jamais; et il me semble que la chose est assez avancée. On ne saurait souffrir l'absurde insolence de ceux qui vous disent, je veux que vous pensiez comme votre tailleur et votre blanchisseuse.

Mes anges je baise le bout de vos ailes.