1766-01-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Oui mes divins anges, il faut absolument que vous veniez; sans quoy je prends tout net le parti de mourir.

Monsieur Henin vous logera très bien à la ville, et nous aurons le bonheur de vous posséder à la campagne. Je vous avertis que tout le tripot de Genève, et les députez de Zuric et de Berne désirent un homme de votre caractère. Il y avait eu bien des coups de fusil de tirez, et quelques hommes de tuez en 1737, lorsqu'on envoya un lieutenant général des armées du Roy, mais aujourdui il ne s'agit que d'expliquer quelques loix, et de ramener la confiance. Personne assurément n'y est plus propre que vous.

Je sens combien il vous en coûterait de vous séparer longtemps de Monsieur le Duc de Pralin, mais vous viendrez dans les beaux jours et pour un mois ou six semaines tout au plus, Monsieur Hennin vous enverra tout le procès à juger avec son avis et celuy des médiateurs suisses. Ce sera encor un grand avantage de pouvoir consulter à Paris les avocats en qui vous avez confiance, quoyque vous n'aiez pas besoin de les consulter. Lorsqu'enfin Monsieur le duc de Pralin aura aprouvé les loix proposées vous viendrez nous aporter la paix et le plaisir.

Monsieur Henin signera après vous, non seulement le traitté, mais l'établissement de la comédie. Ce qui reste dans Genève de pédants et de cuistres du seizième siècle, perdra ses mœurs sauvages. Ils deviendront tous français. Ils ont déjà notre argent; ils auront nos mœurs. Ils dépendront entièrement de la France, en conservant leur liberté.

Mr Hennin est l'homme du monde le plus capable de vous seconder dans cette belle entreprise. Il est plein d'esprit et de grâces, très instruit, conciliant, laborieux et fait pour plaire aux gens estimables et aux barbares.

Au reste le jeune exjesuite vous attend après pâques. Je vous répète qu'on est très content de sa conduitte dans la province. Il n'a eu nulle part ny au dictionaire philosophique, ny aux lettres des sieurs Covelle et Beaudinet. Il a toujours preuve en main. Il dit qu'il est acoutumé à être calomnié par les Frérons, mais que l'innocence ne craint rien, que non seulement on ne peut lui reprocher aucun écrit équivoque, mais que s'il en avait fait dans sa jeunesse il les désavouerait, comme st Augustin s'est rétracté. Il ne se départira pas plus de ces principes que du culte de latrie qu'il vous a voué.

V.