1^ème oct^b [1764]

Premièrement mon cher et grand philosophe, je vous conjure encor d'affirmer sur votre part de paradis, que votre frère n'a nulle part au portatif.
Car votre frère jure et ne parie pas, que jamais il n'a composé cette infamie, et il faut l'en croire, et il ne faut pas que les frères soient persécutez. Ce n'est point le mensonge officieux que je propose à mon frère, c'est la clameur officieuse, le service essentiel de bien dire que ce livre renié par moy n'est point de moy, c'est de ne pas armer la langue de la calomnie et la main de la persécution. Ce livre est divin à deux ou trois bétises près qui s'y sont glissées. Quas aut incuria fudit aut humana parum cavit natura, mais je jure par Sabahoth et Adonaï quia non sum author hujus libri. Il ne peut avoir été que par un saint inspiré du diable, car il y a là du moral et de l'infernal.

Mon second point c'est que je suis tombé aujourduy sur l'article dictionaire, en votre enciclopédie. J'ay vu avec horreur ce que vous dites de Baile, heureux s'il avait plus respecté la relligion et les mœurs, ou quelque chose d'approchant. Ah que vous m'avez contristé! Il faut que le démon de Jurieu vous ait possédé dans ce moment là. Vous devez faire pénitence toutte votre vie de ces deux lignes. Qu'auriez vous dit de plus de Spinosa et de la Fontaine? Que ces lignes soient baignées de vos larmes! Ah monstres! ah tirans des esprits! quel despotisme afreux vous exercez! si vous avez contraint mon frère à parler ainsi de notre père.

Ut ut est, je vous demande en grâce mon cher philosophe que je ne sois jamais l'auteur de ce portatif. C'est une rapsodie, un receuil de plusieurs morceaux détachéz de plusieurs auteurs. Je sçais à quel point on est irrité contre ce livre. Les Frérons et les Pompignans crient qu'il est de moy, et par conséquent les gens de bien doivent crier qu'il n'en est pas. On ne peut ny vous estimer ny vous aimer plus que je fais.

V.