1764-10-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, la tempête gronde de tous côtés contre le portatif.
Quelle barbarie de m'attribuer un livre farci de citations de st Jérome, d'Ambroise, d'Augustin, de Clément d'Aléxandrie, de Tatien, de Tertulien, d'Origène! n'y a t-il pas de l'absurdité de soupçonner un pauvre homme de Lettres d'avoir seulement lu aucun de ces auteurs? Le livre est reconnu pour être d'un nommé Dubut, petit aprentif théologien de Hollande. Hélas! je m'occupais tranquilement de la Tragédie de Pierre le cruel, dont j'avais déjà fait quatre actes, quand cette funeste nouvelle est venue troubler mon repos. J'ai jetté dans le feu et ce malheureux portatif que je venais d'acheter, et la Tragédie de Pierre, et tous mes papiers; et j'ai bien résolu de ne me mêler que d'agriculture le reste de ma vie.

Je vous le dis, je vous le répète: ce maudit livre sera funeste aux frères si on persévère dans l'injustice de me l'attribuer. On sait comment la calomnie est faitte. Voilà son stile, dit elle; ne le reconnaissez vous pas à ce tour, à cette phrase? Eh madame l'impudente! qui vous a dit que mr Dubut n'a pas le même stile? est-il donc si râre de trouver deux auteurs qui écrivent à peu près dans le même goût? est-il donc permis de persécuter un pauvre innocent, parce qu'on a cru reconnaître sa manière d'écrire? La calomnie répond à celà qu'elle n'entend point raison, qu'il faut venger Pompignan et maître Aliboron, et qu'elle poursuivra les philosophes tant qu'elle poura.

Opposez donc, mon cher frère, vôtre éloquence à ses fureurs. En vérité tous les philosophes sont intéressés à repousser des accusations de cette nature. Interim Ecr: L'inf:

Voicy un petit billet pour Protagoras.