21e xbre 1765
Mes anges de paix, j'ai remis à mr Henin les rameaux d'olivier que vous avez bien voulu m'envoyer.
La consultation de vos avocats m'a paru, comme je vous l'ai mandé, pleine de raison et d'équité. Ils se sont trompés sur quelques usages de Genêve qu'ils ne peuvent connaître; ils ont dit ce qui leur a paru juste, et m. Henin conciliera la justice et les convenances. Je crois surtout qu'il ne souffrira pas qu'on donne des soufflets impunément à nos présidents, et qu'il soutiendra la dignité de résident de France mieux que ne faisait ce pauvre petit bâtard de Montpéroux.
Berne et Zuric sont près d'envoyer des médiateurs à cette pauvre république qui ne sait pas se gouverner elle même. On dit dans Genêve que m. le duc de Praslin enverra mr le comte de Castres. Si c'est un bruit faux comme je le crois, je ne vois pas pourquoi le résident de France ne serait pas nommé médiateur. Il me semble que les lois en seraient plus respectées, et la paix mieux affermie quand le médiateur restant résident serait en état de faire aller la machine qu'il aurait montée lui même.
De plus m. Hennin étant déjà très au fait du sujet des dissensions, serait plus capable que personne de concilier les esprits. Enfin c'est une idée qui me vient; il ne me l'a point du tout suggérée, et je vous la soumets; voyez si vous voulez en parler à m. le duc de Praslin.
Il y a quelques têtes mal faites dans Genêve, qui trouvent mauvais, dit on, qu'on ait consulté des avocats de la petite ville de Paris, sur les affaires de la puissante ville de Genêve, on prétend même qu'elles veulent engager Cromelin à s'en plaindre. Je ne crois pas qu'elles veuillent pousser le ridicule jusque là. Je n'ai d'ailleurs rien fait que sur les prières des meilleurs citoyens, je n'ai agi que dans des vues d'impartialité et de justice, et cela est si vrai que je me suis adressé à vous.
En voilà assez pour Genêve. Venons à l'autre tripot. Il se peut faire qu'en lisant rapidement la copie d'Adélaïde du Guesclin que le Kain m'avait envoyée, et la voyant en général assez conforme à un exemplaire que j'avais, je n'aie pas fait assez d'attention à ces deux malheureux vers qui feraient tomber Phèdre, et Athalie:
Je n'aurais pas fait de pareils vers à l'âge de quatorze ans. On a fait une coupure en cet endroit; il se peut que cette coupure ait été faite autrefois pour une seconde représentation, et qu'on ait cousu ces deux vers diaboliques pour attraper la rime.
Quand je les ai vus imprimés j'ai été sur le point de m'évanouir, comme vous croyez bien. Si vous voyez le Kain, je vous prie de lui peindre le juste excès de ma douleur; je suis bien loin de l'accuser de ce sanglant affront, j'en rejette l'opprobre sur Quinauts, et sur qui on voudra, mais je prie le Kain instamment de faire mettre à la fin de l'édition, en errata, ce que je lui ai envoyé. Comptez que ces deux vers là, et ceux qu'on m'envoie de Paris, contribueront à abréger ma vie.
On m'a mandé que le philosophe sans le savoir, n'avait ni nœud, ni intrigue, ni dénoûment, ni esprit, ni comique, ni intérêt, ni vraisemblance, ni peinture des mœurs; mais il faut bien pourtant qu'il y ait quelque chose de très bon, puisque vous l'approuvez. Après tout, ce n'est qu'à la longue comme vous savez, que les ouvrages en tous genres peuvent être appréciés.
Je vous souhaite les bonnes fêtes, comme on dit à Parme; et puisse le temps des bonnes fêtes ne vous pas faire le même mal qu'il a fait à ma poitrine et à mes yeux.
Vous serez bien aimable de faire valoir un peu auprès de m. le duc de Praslin la manière franche et désintéressée dont je me suis conduit avec mes voisins avant l'arrivée de mr Henin.
Respect et tendresse.
V.