1765-12-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes anges, vous n'allez point à Fontainebleau, vous êtes fort sages; ce séjour doit être fort malsain, et vous y seriez trop mal à votre aise.
J'ai peur que la cour n'y reste tout l'hiver. J'ai peur aussi que vous n'ayez pas de grands plaisirs à Paris; la maladie de mr le dauphin doit porter partout la tristesse. Cependant, voilà une comédie de Sedaine qui réussit et qui vous amuse. Celle de Genêve ne finira pas sitôt; je crois entre nous, que le conseil s'est trop flatté que m. le duc de Praslin lui donnerait raison en tout. Cette espérance l'a rendu plus difficile, et les citoyens en sont plus obstinés. J'ai préparé quelques voies d'accommodement sur deux articles, mais le dernier surtout sera très épineux et demandera toute la sagacité de mr Henin. Je lui remettrai mon mémoire, et la consultation de votre avocat; cet avocat me paraît un homme d'un grand sens, et d'un esprit plein de ressources. Si vous jugez à propos, mes divins anges, de me faire connaître à lui, et de lui dire combien je l'estime, vous me rendrez une exacte justice.

Je ne chercherai point à faire valoir mes petits services, ni auprès des magistrats, ni auprès des citoyens; c'est assez pour moi de les avoir fait dîner ensemble à deux lieues de Genêve, il faut que mr Henin fasse le reste, et qu'il en ait tout l'honneur. Tout ce que je désire c'est que m. le duc de Praslin me regarde comme un petit anti-Jean Jaques, et comme un homme qui n'est pas venu apporter le glaive, mais la paix. Cela est un peu contre la maxime de l'évangile, cependant cela est fort chrétien.

Vous ne sauriez croire, mes divins anges, à quel point je suis pénétré de toutes vos bontés; vous me permettez de vous faire part de toutes mes idées, vous avez daigné vous intéresser à mon petit mémoire sur Genêve, vous me ménagez la bienveillance de m. le duc de Praslin, vous avez la patience d'attendre que le petit ex-jésuite travaille à son ouvrage, enfin, votre indulgence me transporte. Je souhaite passionnément que les parlements puissent avoir le crédit de soutenir dans ce moment-ci les lois, la nation, et la vérité contre les prêtres; ils ont eu des torts sans doute, mais il ne faut pas punir la France entière de leurs fautes. Vive l'impératrice de Russie! vive Catherine! qui a réduit tout son clergé à ne vivre que de ses gages, et à ne pouvoir nuire.

Toute ma petite famille baise les ailes de mes anges comme moi même.

V.