1759-03-03, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

L'intérêt que Vous daignés prendre à mon sort Monsieur me pénètre de la plus vive reconoissance, et me fait lever tous les obstacles que ma main rencontre pour Vous témoigner combien j'y suis sensible.
Dieu soit loué, ma fille est quite de sa cruelle maladie qui l'a traitée très charitablement: son minois ne sera pas changé ce qui ne laisse pas de me causer beaucoup de plaisir. Je suis mieu quoique je souffre encor assés: mon écriture en fait foy. Ces Rhumatismes sont impatiantant sans être peutêtre fort dangereux. Notre Thuringe change fréquament de face dans le cours de cet hiver. Depuis le comencement du janvier nous avions quelques troupes de l'armée de l'empire qui ruinoient nos bois par prédilection, pour la fortification d'Erfurth; nous avions beau faire des protestations, des représentations, on nous envoya des exécutions militaires. Dans ces enterfaites arivent les prussiens et vuident au bout de trois jours toutes la Thuringe de ces constructeurs de la tour de Babel. Nous ignorons encor le but principal de cette aparition prussiene, cepandant il y a beaucoup de probabilité qu'ils ont des desseins bien plus importants et qu'ils ironts plus loin. J'avoue que je ne suis pas trop surprise des deux cents vers dont le Roi de Prusse vient de Vous régaler: de quoi je serai infiniment plus étonée ce seroit si toutes ces puissances qui font la terreur du genre humain s'avisoient de reconoitre leur véritable intérêt pour doner la paix à l'Europe désolée. Les scènes en Portugal font frémir. Quel cruel Siècle que le nôtre? les nations futures en auronts horreur et douterons néamoins de la plus parts de ces événemens. Dans ce moment on vient de m'assurer que les prussiens ont passés Eisenach et même Ilmeneau qui est de l'autre côté de la forêt de Thuringe pas loin de Coboürg, s'est à dire déjà dans la Franconie. La chère grande Maitresse est toujour souffrante et néamoins elle m'a soulagée et consolée par ses soins. Ne savés Vous donc rien Monsieur des arrangemens qu'on fait en Italie? Ce pauvre Roi d'Espagne qui ne sait ni vivre ni mourir, ne laissera pas de causer des changements dans le monde politique par sa perte. Toute ma famille me charge de mille assurences d'amitié pour Vous. Recevés favorablement Monsieur les témoignagés de mon estime et excusés de grâce mon vilain griffonage. Mes mains et mes jambes ne veulent plus me servir au gré de mes désirs, ils ne sont pourtant pas aussi mutins que les jésuivites du Portugal, par concéquend il faut que j'use avec eux d'indulgence. Faites en autant par raport à mon stile et de mon écriture en faveur de mon intention. Je suis de coeur et d'âme Monsieur Votre servante et Votre amie

LD