1761-02-28, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Votre charmente lettre Monsieur du 5 de ce mois acompagnée de Votre belle et adorable Tragédie sont arivés à bon pord.
Je les ai lus et rulus avec un vrai enthousiasme; mais come dans ce monde l'amertume et la douleur s'insinuent par tout, se mellent à tous nos plaisirs pour en émousser la pointe, il m'est arrivée aussi que les réflexions que Vous faite sur Votre âge, sur Votre santé, sur Votre existence et surtout cette main étrangère qui a écrit Votre chère lettre a tellement efarouchée mon imagination et inquiétée mon coeur, que j'ai pleurée tout à la fois et sur Tancrede et sur son Divin auteur. Conservés Vous, ménagés Vous je Vous en conjure, ne fût ce que pour l'amour de Vos Amis et de Vos adorateurs. Je ne puis ni ne veus croire que l'effet soit audessus de sa cause, et que Vos écrits jouissent de l'imortalité qui leur est due tandis que le plus beau génie dont ces écrits émanent soit anéantis. Je place Tancrede à côté de Mahomet et un peu audessus d'Alzire, ai je tort ou raison? Vous ête en droit de fixer les prix et d'assigner les rangs. J'y trouve une force infinie, un charme merveilleu, une beauté originale. Tout y est frapé au coin du génie. Excusés la hardiesse de mon foible suffrage. Mon jugement ne vaut assurément pas celui du jardinier de Moliere mais l'amitié dont Vous m'honorés m'inspire du courage et peutêtre une peu trop de vanité. Je Vous ai bien de l'obligation Monsieur de m'avoir envoyé Tancrede par la voye que Vous avés choissie, celle du chariot est assurément trop incertaine, car jusqu'à ce moment je n'ai point reçue encor Votre Histoire de Piere le grand. N'en soyés pourtant pas en peine car je la possède et l'admire depuis plusieurs semaines par le moyen de notre libraire. J'aurai soins de faire parvenir la belle tragédie à la Comtesse de Basewiz. Depuis que je Vous ai écris ma dernière lettre la face de notre petit théâtre turingien a bien changé Monsieur. Nous n'avons plus l'ongle ni d'un François ni d'un Saxons. Ils ont étés obligés de nous quiter et la plus grande partie de la Hesse. Cette belle manoeuvre, ou si Vous l'aimés mieux ce coup de théâtre a été produit par le Héros prussiens. Il faut avouer que ce Prince produit de grands et de singuliers événements. Il n'est assurément pas malade. Il se réjouit à Leipsic de ses exploits, de ses succès. Pour le Roi de Pologne j'ignore ce qu'il fait et s'il existe. Je le plains parce qu'il souffre et qu'il n'a pas mérité personellement la situation accablante dans laqu'elle il s'est trouvé depuis quatre Ans. J'ai fait la conoissance de son fils le Prince Xavier qui paroit être un bon Prince et qui s'aplique beaucoup au métier militaire. Il sera bien fâché d'aprendre à Paris le sort de ses braves Saxons qui de dix ou de douze mille qu'ils étoient ont étés réduits à deux ou trois mille. C'étoit le 15 de ce mois que le corps de Mr: de Stainville et des Saxons a étés repoussés près de Langensalze. Je n'ai jamais étés assés ambitieuse pour penser que je voudrois être ou Roi ou Reine, mais je Vous avoue que je souhaiterois peutêtre encor moins d'être Roi de Danemark, ce Prince se casse un peu trop souvent les jambes, aparement que j'aime trop les miens. Ce qui est sûr c'est que je me promène volontier et que j'aime l'exercice. La pauvre grande Maitresse ne pense et ne sent actuellement que sa douleur, elle pleure son Mary qu'elle vient de perdre, qu'elle chérissoit, qu'elle estimoit beaucoup et dont elle faisoit les délices et l'adoration. Je partage bien vivement ses larmes, je voudrois la consoler mais je ne puis hélas que la plaindre. Elle me charge néanmoins de mille compliments pour Vous. Pour ma fille je doute extrêmement qu'elle soit destinée à porter une Courone ou à passer la Mer. Il est vrai que depuis la mort du Roi George second elle a souvent brillée dans les gazettes, mais Vous savés Monsieur que ces messieurs les gazettiers ne sont ni prophètes ni évangélistes et qu'ils marient et desmarient selon leurs fantaisies et sans que leurs oracles tirent à concequence. J'ai eue cepandant la foiblesse de m'en trouver choquée plussieurs fois. Par là même Vous jugerés Monsieur du peu de probabilité qui se trouve dans cette nouvelle. Toute ma famille Vous Salue, Vous chérit et Vous admire. Je voudrois volontier Vous témoigner d'avantage encor s'il étoit possible.