1757-11-05, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Tout est bon: mon silence donc l'est aussi: il ne l'est pas pour moi, je le sens bien Monsieur puisqu'il m'a privé du doux plaisir de Vous doner de mes nouvelles et de recevoir des Vôtres: il n'est pas bon encor ce silence, parce qu'il pouroit me nuire dans Votre esprit, me faire passer pour ce que je ne suis certainement pas, paresseuse, négligente, que sais-je?
peutêtre pour inconstante; l'on devroit à mon avis changer la phrase, et ne plus dire, tout est bon mais le tout est bon. Nous le voyons sans cesse qu'une chose peut être mauvaise à certains égards, par partie, pour tel ou tel individu et être bone dans son ensemble, pour le but général: chaque Législateur, chaque gouvernement sage, chaque chef d'Armée, qui ne recherche point ce bien comun, s'écarte de son but, manque son dessein, blesse l'ordre et ne parvient à rien; il pouroit bien Monsieur m'ariver de même en m'éloignant trop de mon sujet. Je me flatte toujour que Vous me rendés justice, que Vous pardonés mon silence et que Vous ne désaprouverés même pas cette digression. Vous aurés aparament lus les gazettes, et parconcequand Vous aurés vus Monsieur, que nos circonstances, ne nous l'aissoient guère le choi de nos ocupations. En attendent j'ai fait bien des expériences, j'ai vus des échantillons de battailles, des viscitudes humaines, des contrastes singuliers, j'ai vus souffrir les autres, j'en ai gémis et j'ai eu ma grosse part à tous les maux et suites de la guerre. Après cette rude épreuve de douleur et d'infortune je hais la guerre un peu plus encor que de coutume et n'admire pas moins les décrets Divins de cette sage et bone providence. Quel mal que Vos chers compatriotes nous ayent fait je trouve cette nation charmente et j'en estime plussieurs individus: mais je désire avec ardeur la paix, mais je voudrois que tout fût tranquille, mais je voudrois que ces aimables François fussent de retour chés eux. Nous avons souvent causés de Vous, de Vos talents, de Votre géni. Vous avés beaucoup d'ami et d'admirateurs dans l'armée de Soubise; mais j'ai parlé de Vous encor à quelqu'un, devinés à qui? L'on m'a dit qu'on étoit de nouveau en comerce de lettre avec Vous. Vous n'aurés pas je pense oubliés le nom de batême? L'on a récité de Vos vers, et puis en s'embrouillant un peu, l'on a dit que les Croates avoient dérangés la mémoire. Apropos de croates j'ai fais aussi leur redoutable conoissance, j'aimerois assurément mieux renouveller la Vôtre: je ne doute pas Monsieur que Vous ne m'en croyés sur ma parolle. Ne m'oubliés pas de grâce car malgré tous mes maux, malgré tout notre misère, je Vous honore, je Vous estime, je Vous affectione de toutes mes facultés, come Votre fidelle Amie

LD