1765-09-07, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

C'est avec des transports de joye et de reconoissance que j'ai reçue Monsieur Votre charmente letre du 23 d. p.
C'est donc à cette infortunée mais vertueuse famille des Callas que je dois ces témoignages flatteurs de Votre cher souvenir. Les foibles marques de bone volonté que j'ai donée à son égard, sont assurément infiniment au dessous du plaisir et de l'avantage qui m'en revient. J'étois je l'avoue atristée Monsieur par Votre long silence, et cepandant je n'avois pas la force de le rompre. Affligée come Vous de maus de yeux, et acablée par toutes sortes d'incomodités j'ai passée, très désagréablement au de là d'une anée sans recevoir de Vos nouvelles. Comptés mon digne Ami que si mon pouvoir eût égalé mes désirs, que je n'eusse pas tardée à réparer et à dédomager, la perte et l'injustice comise contre cette malheureuse famille. Mais hélas je ne sens que trop les étroites limites de mon pouvoir dans ces moments où il s'agit de soulager la misère, et où je ne puis que répendre des larmes. Si mes enfans ne sont pas dans le cas de profiter des grands exemples ils ont au moins le désir extrême de se rendre dignes de l'estime des âmes vertueuses. Il n'y a assurément aucun thrône pour ma fille mais aussi je Vous le proteste, elle n'en a jamais attendu: elle s'amuse et rit de tout et par concéquend elle n'est pas fort à plaindre. La gaieté de son humeur et la bonté de son coeur rendrons son sort toujour très agréable. Je me suis consolée pendant Votre silence à lire certain dictionaire, certaines réflexions de st Euvremont ressusité, la philosophie de l'histoire, certaine tragédie comique et d'autres livres sortis du même esprit séducteur et de cette plûme enchanteresse douée de tant de grâces et de tant d'agrémens. Voyés Monsieur si je n'ai pas tout fait pour distraire mes enuis et mes souffrances. Nous nous somes beaucoup entretenus de Vous ma chère Amie et moi et malgré Vos rigueurs nous Vous aimerons toujours à la follie. C'est là notre pente naturelle, notre habitude et notre resource. Joignés à cela notre admirations pour Vos talents, pour Votre mérite, et Vous aurés le tableau fidelle de nos coeurs. Le cher Duc est très sensible à Votre amitié et fait chorus à tous mes sentimens pour Vous.