1770-09-30, de Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu à Voltaire [François Marie Arouet].

Depuits que vous ne m'avés écrit mon cher Voltair (deux letres où je sai fort bien que je doits réponse) il m'a prits fantaisie d'aler souper à Bordaux, et quoique je n'y eusse de Valets d'aucun genre que ceux qui m'avoient suivis en poste, et que par conséquent je ne pouvoits estré voituré et nouri que par la charité de la paroisse, je n'ai pas laissé d'en trouver pour que d'engagements en engagements je n'y aye resté beaucoup plus que je ne croyoits et qu'arivé une foits dans mon gouvernement je n'y aye aussi plus d'affaires que je ne vouloits.
Cependant j'en suis enfin revenu après avoir séjourné à Fronsac, lieu délicieux dans la plus belle situation de la nature, et à Richelieu que vous cognoissé, un peu plus mélancolique mais trop beau pour estre abandoné. Me voilà enfin revenu en bone santé et très empressé de vous dire combien je voudroits que la vostre fût de même et que vous pussiés voyager aussi aisément, mais vous este tout esprit qui n'est pas tourné à conduire le corps come vous pouriés faire si vous vouliés. Mr de Pignatelli que j'ai vu à son arivée depuits troits jours m'en a rendu bon conte et enchanté de vous, ce qui a redoublé mon amitié pour lui. Il lui est arivé un garçon qui cause une grande joye dans la famille et doit augmenter par la dificulté qu'un home moins jeune et moins Vigoureux trouvroit à un tel ouvrage malgré le désir qu'il doit avoir et touts les siens de ne pas laisser passer dans une autre maison les biens très considérables qui regardent cett enfant, et une branche aussi opulente de sa maison qui aloit l'estre par la faute de ma fille de sa construction qui à l'extérieure cependant est belle et bone mais dont il faut aparament que les trompes de Fallope soyent obstruée ou en gourdie, car je me flate qu'elle n'a pas dû l'estre à les metre en jeu. Mais voilà assés et trop vous parler de moy et de mon atmosphère. Il faut un peu répondre à vos letre, et justifier les égratignure que vous prétendés que je vous ai fait et si j'étoits jamais assés maladroit pour cela, ne ne pouroit estre assurément qu'à force de vous embrasser, de vous encenser, et de vous admirer. Quel home peut avoir dans le coeur ces sentiments là gravés plus profondément? Mais si vous voulés coler sur votre peau cette philosophie que je déteste, je veuts faire des eforts pour vous prouver qu'elle vous faira les efets de la robe de Nessus et je voudroits vous l'enlever pour préserver cette peau que vous prétendés que j'égratigne. Vous caressé la miene d'une façon trop flateuse pour ne pas baiser la vôtre avec tendresse et recognoissance. Je ne veuts point entamer de si loin une dispute pour soutenir mes raisons, c'est une folie d'écrire sur telle matière à moins de faire come Ciceron, les demende et les réponces on dirigeant l'un et l'autre. Souts le nom de ses amis on ce done raison souts le nom de celui à qui l'on veut faire ce petit plaisir, mais s'il avoit eu affaire à un interlocuteur sérieux tel que vous il seroit devenu encore plus péripespatitien ou académitien plus qu'il ne l'étoit. Je me livereroits cependant avec plaisir à la contradiction avec vous teste à teste parceque en confondant peutestre mes raisons je serrés ébloui des éclairs de votre imagination ce qui vaut bien autant que des raisonements. Il y a toujours un point sur le quel nous serons d'acort, c'est sur ce qui doit estre l'objet de toutes les desputes qui est de faire voir la façon dont les homes peuvent estre le plus heureux et travailler à leurs en faire voir le chemin. Reste à savoir si celui qui les cognoist ou celui qui raisone le mieux y est le plus propre, ensuite de savoir si chaque nation, chaque individu même n'a pas un bonheur diférent, ensuite s'il est possible de bien raisoner sur le bonheur de touts par des principes généraux. Je ne [?m'apercoits] pas insensiblement que je faits come Ocellus Lucanus et les antiens philosophes grecs dont il nous reste des textes seulement de ce qu'ils vouloient enseigner et faire disputer à leurs écoliers et que je remontre à mon maître de toute façon qui a fait un si mauvais écolier et même argneux, mais toutes foits sans aigreur, convenés en malgré votre éloignement de ma façon de penser quellques foits et de mes erreurs sur tout cela. Je devroits à ce propos vous rapeler le pied destall du Cupidon que le cardinal mon oncle envoya à l'hostel de Ramboüillet où j'auroits été trouvé encore plus hérétique que vous ne pouvés faire, mais j'ai peur aujourdui que vous ne me trouviès qu'excessivemd Banall, car je suis efrayé de [la] vitesse avec la quelle ma plume va et encore plus efrayé de son barbouillage qu'il m'est impossible de relire et que j'aime mieux metre aux pieds de vostre indulgence pour vous faire voir aumoins le plaisir que j'ai à raisoner et déraisoner avec vous. Je me souvients àprésent que vous m'avés parlés d'un certain Castera que vous ne cognoissés point et que je cognoits trop; vous vous y intéressés cependant à ce que l'on pouroit croire et moy par des raisons que je ne puits vous dire dans le moment j'étoits dans l'incertitude de la manière dont j'en useroits avec lui et vous m'avés décidé à bien faire à certaines conditions, mais il sera content ou je me trompe fort. Je doits ausi vous parler de votre impératrice et de la flote angloise qui porte son nom. Vous avés dû avoir grande peu[r] un moment pour le déluge de vos admirations prématurée et il faut atendre encore je croits pour en régler la mesure, mais quoiqu'il en puisse ariver, d'aussi grands projets qui sont arivés aussi proches du succès mérite une sorte d'admiration quand même ils finiroient par échouer. Mais pour finir par les spectacles qu'elles n'aura jamais de son vivant aussi bons que ceux de notre foire st[…], je vous diré que j'élève à la brochete deux ou trois acteurs qui paroîtront au mois de janvier dont je suis presque sûr qu'un au moins consolera de la perte de le Quain quand elle arivra. C'est Clairon qui l'élève, je ne dits pas dans son lit, car cela seroit grossier, ni dans sa maison car cela ne seroit pas vray, n'y ayant point d'apartement digne de lui, mais dans son école et je m'attens que vous en entendrez parler même à votre oracle Dargental. Le second est conduit par le Quain pour le comique et le troisième par Preville pour le tragiqe. Ainsi vous voyés tout ce que cela doit produire pour la continuation des triomphes de vos enfants. Mais je voudroits que vous pussiés m'envoyer de jolies amoureuses car l'illusion si nécessaire à tout ne peut exister pour une guenon quands elle joueroit la passion et son adversaire aussi come Baron. Si vous en trouvés envoyés les nous pour la satisfaction publique et la mienes. Vous n'en auriés guère si j'avoits encore du papier car tout seroit noirci dans l'humeur où je suis.