à Weissembourg ce 22 aoust [1743]
Vous aurés peutestre vu mon cher Voltaire un mauvais plan et détaill de notre affaire de Dettingen et je veuts vous en envoyer un juste sur le quel vous pouvés conter, sur ma parole d'honeur qu'il n'y a pas un mot d'altéré.
Vous este dans un pays où vous este áportée de parler et d'entendre parler de nous et de nos troupes, il faut que vous sachiés que dire et que vous ne nous laissiés pas condamner au de là de ce que nous méritons. Je voudroits que vous me fissiés une énumération de tout ce que l'on reproche à nos troupes, je vous metroits en état d'y répondre. Prenés leurs parti et abandoné celui de nos ministres, vous ferés l'ofice de bon sujet et de bon citoyen. Il est vrai que nos troupes sont mal dissiplinée et que l'émulation et la subordination c'est touts les jours perdue depuits les soins que l'abé Fleuri a prits pour cela, mais tout son art n'a pu ariver à oster la Valeur naturelle à notre nation. Vous savés que l'univers est selon moy celle d'un estre pensant, ainssi l'entousiasme de la patrie ne me fait pas passer le but mais je vous jure que cela est vrai. Mais quoique nous soyons en général brave, je ne croits pas qu'il y ait à baucoup près autant de diférence de nous à une autre nation telle qu'elle soit, que je crois que la dissipline peut y en metre. Ce que nous avons assurément fort au dessus de touts ces autres peuples c'est la facilité de prendre les impressions que l'on nous donne avec une vivacité qu'aucunne nation ne peut avoir, ce que les étranger ne s'imaginent pas. Par exemple si le roy Veut je réponds sur ma teste que nos troupes seront dans deux ans meilleures qu'elles n'ont été dans leur plus brillant et que dès l'année prochaine elle vaudront mieux qu'il y a dix ans. Songes donc que ce foutu prestre de Lodeve n'arien oublié de ce qui pouvoit dégoûter les bons sujets, metre en place les mauvais et soutenir toujours l'inférieur contre le supérieur. Sa mémoire n'est pas encore assés proscrite mais le roy sent le mal, je vous en répond, et y remédiera. On ne le cognoist pas et je suis penétré de douleur du peu de justice qu'on lui rend. Vous en savés assés et je vous en ai assés dit pour estre en état de prendre le parti de la Vérité que l'on cognoitra tost ou tart et l'on Vera que si Alexandre avoit été sans père ni mère livré à un abé Fleuri il seroit fort au dessouts de ce que le roy peut estre. Touts les défauts du roy Vienent de principes qui seroient des Vertus dans bien d'autres, timidité, défiance extrême de soy même, et envie de trop bien faire. Je saits ce que l'on peut répondre à cela mais il est bien sûr que le roy a le coeur et l'esprit droit, qu'il a de la fermeté, du courage et de la pénétration. On Vera déveloper tout cela j'en répond sur ma teste. Par exemple touts ces prétendus ministres Vouloient qu'il abandonast l'empereur, et il le soutient, le soutiendra et je suis sûr perdra plustost quatre province que de l'abandoner. Mais, me dirés vous, il faudroit mieux qu'il en gagnast une et lui en fit gagner deux et fit tout ce qu'il faudroit pour cela. Je l'avoue mais il faut ce prester un peu à sa situation, sentir que le cardinal lui a laissé des homes qu'il a apelé et qualifié de ministre, cognoissant leurs maitre, ignorant parfaitement toute les choses dont ils ont le département, adroits en intrigue, autant que stupide en négotiations, assés d'esprit pour estre fripons et trop peu pour faire quadrer leurs friponeries avec le bien de l'état, et le deffunt précepteur en lui laissant ce don prétieux n'a pas contredit les principes qu'il lui avoit fait succer avec le lait que touts ces courtisans étoient de malhonestes gens qui ne cherchoient qu'à le tromper et ne faisoient semblant que de l'aimer pour lui aracher des grâces, qu'il les faloit hair et ce défier de ceux ci pour doner toute son afection et sa confiance à ses ministres, en quoi il avoit grand intérest lui qui les représentoit touts. En vérité pour ce tirer de ces préjugés de l'enfance et démesler le vrai et le faux de ses maximes et s'en démesler avec justece et précision, c'est le chef d'oeuvre de l'esprit d'un roy. Tout cela viendra mais il faut du tems. J'espère qu'il n'est pas loin, car l'on sent bien que nous avons besoins d'aliés et que nous n'en trouverons jamais d'assés insenssés pour se lier avec un aussi sot ministère, mais notre royaume est bien fort, a de grandes ressource et il n'y manque qu'un tour de main pour que tout soit come nous le pouvons désirer. Ainssi mon cher Voltair ne laissés pas Vilipender notre nation et que touts les méprits retombent sur ceux qui le méritent. Adieu, vous ne sauriés assés ni trop souvent me doner de vos nouvelles. Adressés les à quelqu'un à Francfort qui les fera tenir au chancelier de Crollier, ministre de l'empereur auprès de mr le mal de Noailles. C'est par lui que cette letre passera. Je vous ai déjà mandé que je croyoits que me du Chatelet me boudoit. Jene Veuts pas d'ailleurs que mes letres come vous sentés passent par Paris. Si vous avés quelques bonnes petite brochure holandoise envoyés les moy par la même voye.