1766-07-17, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon bienfaisant et consolant ami, j'ai envoyé à notre Damilaville deux brochures, l'une d'un militaire, Ingénieur et Architecte, sur la construcion d'un Théâtre d'opéra, l'autre d'un Médecin grand hémophile, c'est à dire grand ennemi de la saignée.
Le 1er est M. le Chevalier de Chaumont de St Jean, le 2d M. de Mallon, qui n'est d'aucune de nos facultés, et qui ne s'est adonné à l'étude de la Médecine que pour son plaisir. Ces deux honnêtes Virtuoses me sont venus apporter leur ouvrage comme un homage qu'ils rendent à l'homme qui fait le plus d'honeur à sa Patrie et à son siècle.

Vous savés mon illustre ami, comme je vous ai toujours écrit et parlé de Damilaville. Je ne sais à propos de quoi depuis dix huit mois, son amitié pour moi s'est entièremt glacée. Cette disparate me causa un véritable chagrin, car je l'aimois, et je m'étois dévoüé entièremt à lui. Je cherchai et je lui offris toutes les occasions d'émouvoir les sentiments qu'il me témoignoit autrefois. Je n'ai pas été ni assés heureux, ni assés adroit pour y réüssir; et il a seulemt continüé de me transmettre vos lettres et de recevoir les réponses que je vous faisois. J'allai le voir au commencemt de cette année, et il m'annonça qu'il alloit paraitre 3 vol. et que j'étois inscript parmi ceux à qui il en étoit destiné un exemplaire. J'ai écrit plusieurs fois pour rapeller cette annonce qu'on m'avoit faite. On m'a fixé à plusieurs distances. Je viens de prendre le parti de lui écrire que je cesserois de l'importuner davantage et que j'allois avoir recours à vous. Je vous prie donc de me dire comme il m'y fault prendre pour avoir ces trois derniers Vol. de vos oeuvres.

On m'a fait voir seulemt un recueil de vingt et deux lettres sur les Miracles dont on m'a promis la communication, et j'imagine que ce sont celles dont vous me parlés.

Je m'imagine que cet ouvrage de Freret qu'on fait courir dans le pays étranger est la Lettre de Damasipe à Thrasibule. Il y en avoit icy des Manuscripts en assés grand nombre, et j'en ai encor quelques autres de lui qu'on pouroit y joindre.

Je suis infiniment sensible aux bontés que vous avés de me mettre à part quelques uns de vos petits morceaux qui feront beaucoup valoir mes feuilles littéraires.

Vous aurés eu part sans doute d'un Abrégé de l'hist. Ecclésiastique de M. Fleuri en deux Vol. dont je n'ai veu encor personne qui ait pû m'en rien dire.

Je vous annonce une hist. des Jesuites plus intéressante et plus ingénieuse que celle de notre Philosophe Dalambert qui n'est qu'un choix des traits et des bons mots qu'on a lançés contre les Jesuites. Celle cy est d'un jeune homme plein de Génie, d'Imagination et de savoir, et je serai bien étonné si vous n'en concevés pas de grandes espérances. Il paroit un excellent Mémoire de ce nouvel écrivain sur les trois jeunes gens injustement impliqués dans l'affaire de la mutilation d'un Crucifix arrivée à Abbevile. Ce Mémoire est signé de sept autres avocats du premier rang, mais le Parlement l'a supprimé.

La Cacomonade est une bouffonnerie très plaisante et n'est point d'une Imitation servile de Candide son modèle.

On vous aura sans doute envoyé la Critique de l'Eloge du Dauphin par M. Thomas. Elle me semble d'un homme qui a le goût plus fin que lui. Cette critique lui fera beaucoup de peines et le recule au moins pour bien longtems de l'Académie. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Tht