à Paris 1er Juillet [1756]
Je reçois votre lettre du 26, mon très cher et très illustre ami, sans avoir pû répondre encor à celle du 16 du même mois qui m'est trop agréable pour ne pas vous le témoigner; mais il est survenu à Mr de la Poupliniere une fièvre maligne toute des plus funestes.
Il a été quatre jours à la dernière extrémité. Sa femme n'en a été informé que le troisième. Elle s'y est transportée toute infirme qu'elle est, et s'est établie dans son ancien appartemtà Passy jusqu'à ce qu'elle ait rendu la Vie et la connoissance à son Mari en forçant un Médecin d'y rester avec elle. Elle en est revenüe aussitôt, sans l'avoir voulu voir de peur qu'elle ne lui causa une trop grande révolution. Cette conduite a si bien réussi qu'elle lui tournera favorablemt au moins par l'augmentation de sa Pension qui ne lui est pas suffisante; car il est impossible avec 12 Mil livres de fournir au loyer d'une Maison, à l'entretien de cinq domestiques, et à tout ce que coûte une Maladie comme la sienne. Cependt cette fièvre Maligne n'est point encor sans beaucoup de péril, et si le Malade succomboit elle se verroit avec 50 Mil Ecus de rentes qui sont incontestables par la Donation mutüelle et la Communauté en biens par Contrat de Mariage. Vous jugés bien que dans ces circonstances tous ses amis lui ont aporté tous leurs soins et leurs services. Le Malade n'est encor que dans son neuvième jour et il y a encor à craindre pour quelque tems.
J'avois remis sous les yeux de M. Dargental tous les inbroglio que vous rapellés, et il ne les comprend pas mieux que moi. Laissons en les explications qui toutes claires qu'elles pouroient être seroient àprésent fort inutiles. Je vais répondre d'une manière précise à ce que vous me demandés. Je sais bien certainemt et j'en ai donné avis à M. Dargental que Lambert copie exactemt l'Edition des Cramers dans l'intention de n'y rien ajouter, et qu'elle paroitra au plus tard à la fin de ce Mois, tant il a mis de diligence pour y parvenir. Ainsi ne vous attendés pas à y trouver des pièces fugitives de sa part, et encor moins de la mienne; je ne suis pas capable de prendre de telles libertés, et je sais trop les égards qu'on vous doit que je porte jusqu'au respect. Je n'ai donc pas la plus petite part à toute cette entreprise, et Lambert ne s'en étant guères caché je lui ai seulemt bien recomandé beaucoup de correction et de propreté.
Il me dit il y a quelques jours que les 4 premiers Vol. de l'hist. univ. étoient achevés par les Cramers et qu'aussitôt que les deux derniers seroient imprimés, qu'ils lui seroient tous six envoyés par la poste, et que le Public seroit promptemt servi.
La Beaumele peut être l'âne de Montmartre qui braye après nous, je n'ai pas absolumt de démonstrations contre; mais il est de notoriété qu'il est brouillé avec Freron, et que celui cy le déchire et le mord jusqu'au sang. Au reste cet ouvrage est tombé dans l'oubli aussitôt qu'il a paru, parce qu'il n'y a ni Esprit, ni raison.
Les Mémoires de Mad. de Maintenon deviennent d'un dégoût insuportable à mesure qu'ils sont plus connus, parceque chacun en découvre les faussetés à son voisin. Le Public demande une Edition à part des Lettres qu'on voudroit avoir sans les Mémoires, et un Libraire en trouveroit bien le débit.
Plus je réfléchis, moins je comprends l'utilité dont je pourois vous être pour l'histoire du siécle de Louis 14. Je ne la sais que par Vous et par le Présidt Henaut. Je crois bien ql y auroit ancor quelques traits à grapiller dans les Mémoires de Dangeau tels que celui de Louis 14 au Maréchal de Bouflers, qu'on m'a assuré y être. Il paroit un petit suplémt de M. le Présidt Henault lui même. Il y a peut être bien des Memres particuliers à consulter, mais où sont ils?…. J'ai encor bien des choses à vous dire et cette lettre sera bientôt suivie d'une autre.