à Paris 27 aoust [1756]
Ce n'étoit donc pas sans fondement que je vous interrogeais sur cette Tragédie nouvelle.
Vous me répondés enfin, mon ancien et illustre ami, que cela n'est pas de mon tripot. Comment avec votre pénétration n'avés vous pas senti, toutes les fois qu'il a été question de vos ouvrages Dramatiques, que les périls de cette carrière malgré vos grands talents et vos brillants succès m'effrayoient toujours, et que j'étois dans le cas d'un Mari passionément amoureux de sa femme et qui trembleroit de la perdre à chaque enfant qu'elle mettroit au monde? C'est ce qui fait en vérité que je n'ai jamais été fort ardent à vous exciter à ce grand et terrible genre de la Poésie qui agite encor plus un auteur de crainte que d'espérance. J'imagine que vous croyés de bonne foy que je mets Made Jeanne en comparaison avec la Henriade, Oedipe, Alzire, Brutus, la Mort de Cesar &c. et que je préfére au sublime et au Pathétique d'un grand et rare Génie le badinage et les agréments qui en sont le délassement. Je ne voulois donc plus que vous fissiez d'enfants, mais puisque vous avés encor pris plaisir à en faire un, je vous assure que je suis déjà autant prévenu pour lui que plein de tendresse pour les autres.
Il est très important d'arrêter Lambert dans sa rage d'imprimer. Il n'est pas possible qu'il ne se rende à ce que je lui dirai conséquemt de ce que vous m'écrivés à ce sujet. Si je ne le mettois pas à la raison je verrois avec M. Dargental les moyens qu'il sera facile de prendre auprès de M. de Malesherbes qui certainemt arrêteroit une pareille manie.
La Beaumelle préparoit une troise Edition de ses Mémoires avec des additions où il renchérissoit d'impudence et d'effronterie.
Vous rendés justice à l'abé de st Pierre, c'étoit un fou sérieux aussi éloigné de la satire qu'il étoit rempli d'humanité et d'amour pour le bien public. Il m'a parlé plusieurs fois de cet ouvrage. Je suis bien aise qu'il soit venu à votre connoissance.
J'ai remis ce soir à M. Bouret un paquet contenant un Poème en 3 chants sur Port Mahon par un Garde du Roi, un recueil des Chansons depuis le dernier de nos beaux Esprits jusqu'à vous inclusivemt et des vers sur Port Mahon qu'on m'a aporté de Compiegne, de plus un Recueil de pièces sur les affaires de Suede qui sont curieuses et intéressantes. Je voulois y joindre des Discours de M. le Chancelier Daguesseau en 2 Vol. Ce sera pour une autre fois si vous les voulés. J'ai été si pressé que je n'ai pas lû le Poème du Garde du Roi.
J'ai toujours pensé qu'il falloit recourir aux Langues du Nord pour la composition d'un Glossaire de notre langue. M. Du Cange le démontre en beaucoup d'occasions.
C'est une espèce que la Geoffrin, elle veut tenir la place de Mad. Tencin et beaucoup de Gens en sont la Dupe. Elle n'est pas même son ombre. Elle étoit effectivemt protectrice déclarée de la Beaumelle.
Je m'étois promis que vous seriés charmé de voir et d'entendre l'auteur de la belle et immortelle Préface de l'Encyclopédie. Le petit Patu vous aura aussi fait plaisir, car chacun a son prix.
Nous attendons ici M. le Maréchal de Richelieu à chaque instant. On s'adressa hier à moi pour savoir la demeure de Piron pour lui remettre une lettre ql lui écrit pour ses mauvais couplets. Madame de la Poupliniere me charge toujours de répondre à vos amitiés. Dites moi le plus que vous pourés et tout ce que vous faites et comment vous vous portés, car je vous aime de tout mon coeur.
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