1756-08-08, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous ai fait savoir, mon très cher et très illustre ami, que Mr de la Pouplinière avoit été à la dernière extrémité, et qu'il devoit la vie à sa femme par les secours qu'elle lui avoit procurés en y mettant toute la chaleur et la modération que les circonstances et sa situation exigeoient; il vient de lui donner vingt mil francs de pension, dix mil Ecus d'argent comptant et dix fois autant de promesses et de paroles agréables.
C'est une femme d'esprit qui a tiré parti des circonstances et vous voiés qu'il est plusieurs manières de sortir des cheminées.

Votre Epitreà M. De Mahis a beaucoup réussi, et nous fait attendre avec empressemt le bel ouvrage que vous faites à l'honeur du vainqueur de Port Mahon. Il est attendu lui même à Paris et à Compiegne à tout instant, car les françois sentent l'importance de cette Victoire autant que les anglois en sont présentemt frapés.

Vous avés donc àprésent notre brillant philosphe Dalambert. N'ayés aucune inquiétude, il ne passera point audelà de votre lac. Il n'y est allé que pour vous voir, et son séjour ne sera pas long. L'autre Philosophe sec et triste a été acceuilli ici trop indifféremt pour qu'il ne soit pas ennüyé à mourir.

L'Edition de Lambert ne paroit pas encor. Elle est fort attendue de grand nombre de gens pour en faire la comparaison avec celle des Cramers et se déterminer.

Enfin il est arrêté que les Mémoires de Conac paroitront, mais on ne sait quand. Le malin Damné est encor sorti de sa chaudière et m'a dit que vous deviés remettre en passant à Mle Cleron une tragédie qui nous enchantera autant que l'Orphelin. Si le Temple de Melpomene et de Thalie par Soufflotétoit achevé, n'en feroit on pas la Dédicace par une si belle pièce et une si grande actrice?

L'Intrigue de la Baumelle vient de prévaloir enfin pour faire entrer et débiter la seconde Edition des Mémoires de Maintenon qui se vendra pour les lecteurs de nos Provinces. Faites votre critique de manière que vous ne rendiés pas ce misérable illustre par votre plume, car les injures qu'il a vomi contre vous et vos amis n'ont point d'autre but.

Je vous écris aujourd'hui pour vous annoncer encor une visite de M. Patu, qui veut vo[us] aller rendre ses homages en allant s'inst[ruire] en Italie, où il se propose de séjourner u[ne] couple d'années. J'ai fort aprouvé ce beau projet, il annoblira et embellira le goût triste et sérieux des belles Lettres d'Angleterre.

Envoyés moi, je vous prie, votre ouvrage sur Port Mahon pour que j'en fasse les honeurs. Il paroit d'hier une fort bonne brochure sur les affaires de Suède. Bon soir Mon très cher et illustre ami. Je vous embrasse de tout mon coeur.