3e auguste 1769
Je m'intéresse plus que personne, mon cher confrère, au triste état d'Abellard.
Soixante et quinze ans font à peu près le même éffet que le rasoir de Mr le chanoine; Horace a bien raison de dire, et Boileau après lui, que les plus tristes sujets peuvent réussir en vers. Les vôtres sont bien agréables et bien attendrissants.
Vous savez qu'on a imprimé les Guebres du jeune Des Mahis; cette pièce m'a paru fort sage; il serait à souhaitter qu'elle l'eût été moins; elle aurait fait une plus grande impression. Je conseillerais aux prêtres de demander instamment qu'on la joue telle qu'elle est. Car s'ils ont la sottise de s'y oposer il arrivera que les héritiers de Des Mahis remettront la pièce dans toute son ancienne horreur. On m'a dit que l'auteur en avait adouci prèsque tous les traits, et qu'il avait passé quelques couleurs sur l'extrême laideur de ces messieurs, mais s'ils ne se trouvent pas assez flattés, on les peindra tels qu'ils sont. Je crois qu'il est de l'intérêt de tous les honnêtes gens qu'on joue quelquefois de pareilles pièces. Celà vaut pour le moins une grand'messe de vôtre archevêque, et beaucoup mieux sans doute que tous ses billets de confession.
J'ai essuié plus d'une affaire et plus d'une maladie; c'en est trop à mon âge. Plaignez moi si je vous écris si rârement et si laconiquement.
V.