1769-08-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville.

Je remercie le jeune auteur des Guêbres qui m'a vallu une Lettre de mon cher Marquis.
Je suis bien malade, et assez hors d'état de donner des conseils à l'auteur. Je ne puis que lui souhaitter un meilleur siècle, moins d'égarement dans le goût du public, moins de ridicule politique dans ceux qui craignent qu'on ne prenne des prêtres d'Apamée pour des archevêques de Paris; celà est d'une impertinence horriblement welche.

Quoi! l'on jouera le Tartuffe et l'on ne jouera pas les Guêbres! l'inconséquence est le fruit naturel du sol de vôtre pays.

J'åi ouï dire qu'en éffet il y a actuellement à Paris une belle et spirituelle Hongroise dont le père était sans doute à la tête de la nation quand l'Impératrice présenta son fils et fit verser des larmes à tout le monde. Le comte de Palfi parla dignement et pleura de même; mais il est très certain que Marie Thérèse prononça les paroles que j'ai recueillies. Il faut bien se garder de les donner à un autre. Elles sont déchirantes dans la bouche d'une mère. Celà ferait à merveille dans une belle scène de Tragédie.

Je prie mon cher marquis de dire à tous les Welches qu'il rencontrera qu'ils sont des monstres s'ils empêchent qu'on ne joue les Guebres. Je l'embrasse de tout mon cœur.

V.