au Château de Ferney 8e Mars 1761
Monsieur,
Je vous prie d'avoir la bonté de m'informer par quelle voye vous m'envoyez de vôtre nectar de Bourgogne.
Celà m'est important, parce que je crois qu'il y a des droits à payer pour la sortie de France; et il serait triste de payer comme étranger quand on est bon français, et surtout quand on est bourguignon comme j'ai l'honneur de l'être. Il est vrai que je suis séparé de vous par d'abominables montagnes; et je crois que vôtre vin fait le grand tour, et arrive par Versoys. Je vous serai très obligé de vouloir bien me mettre au fait de la géografie de mes deux tonneaux.
Cette affaire est plus agréable que celle de ce maudit Curé. Je sçais fort bien, Monsieur, que vôtre tribunal n'a rien à démèler avec celui de la confession, et qu'il y a une différence énorme entre la justice que vous rendez, et l'abus que les jésuites font quelquefois de ce beau sacrement de pénitence. Je me doute bien qu'on ne peut que les tympaniser, et non les actioner; mais je ne veux point prendre parti dans cette affaire, attendu que j'ai été assigné en témoignage, et qu'il faut qu'un témoin ait l'air impartial. Ce beau procez ira sans doute au Parlement. Celà aprendra du moins aux curés du petit païs de Gex à ne point aller battre les femmes chez elles pendant la nuit; Jésus christ ne les battait point; je me flatte que le Parlement de Bourgogne ne souffrira chez les prêtres, ni les billets de confession, ni les coups de bâton.
Cependant buvons; mille respects à madame Lebault; et avec les mêmes sentiments
Monsieur
Votre très humble et très obéisst serviteur
Voltaire