1761-03-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

Nous travaillons à force, Monsieur, pour vous recevoir dans nôtre petit hermitage de Bourgogne au mois d'aoust.
Ne vous figurez pas de trouver une maison comme la vôtre, ou comme celle de Mr De la Marche. Ce que mon curé apelle château, n'est qu'une très petite maison, bâtie pour un philosophe, et faitte uniquement pour des philosophes.

Si vous venez donc avec Mr le Président de la Marche, commencez par oublier toutes vos magnificences, et songez que vous allez chez Baucis et Philemon.

La grande affaire du curé de Moëns, ne tintera pas sitôt aux oreilles du Parlement de Dijon; il faut auparavant qu'elle étourdisse longtemps les nôtres. Tout le clergé prend part à ce procès; les curés du païs prétendent qu'ils ont le droit incontestable de donner des coups de bâton aux Laïques; et que celà leur fut accordé par le premier Concile de Latran. Ils ajoutent que quiconque témoigne contre eux est excommunié ipso facto; et comme nous sommes dans le saint temps des Pâques, il se poura bien faire qu'on refuse la communion à tous les mauvais chrétiens qui ont prétendu, qu'il n'était pas absolument permis à un curé d'aller assassiner un jeune homme chez une femme, pendant la nuit.

Je vous remercie tendrement en qualité de Laïque de vos bontés pour le pauvre battu. J'ai été apellé en témoignage sur cette belle affaire. J'avais vû le crâne du jeune homme entr'ouvert; je l'avais vû pendant quinze jours entre la vie et la mort; et l'honnête Curé qui l'avait mis en cet Etat, m'a soutenu que c'était un Erésipelle; je ne crois pas qu'il y ait dans l'Eglise un plus impudent coquin que ce prêtre. Aussi L'Evêque Savoyard prend vigoureusement son parti.

Avez vous lu le roman de Rousseau Jean Jaques? Celà ne me parait ni dans le goût de Télémaque, ni dans celui de Zaïde. J'aurai L'honneur de vous envoyer par la première poste, des exemplaires du rogaton que vous me demandez, par l'adresse que vous m'indiquez. Mille respects à madame de Ruffey comme à vous.

V.