1er fév: 1764
Mon cher frère, je n'ai point été trompé dans mes espérances.
Le réquisitoire de maître Omer est un des plus plats ouvrages que j'aie jamais lus. Il n'y a pas quatre lignes qui soient écrites en français; et son stile pédantesque est digne de lui. Je supose, par les citations, que le mandement de maître de Beaumont est aussi ennuieux que le discours de maître Omer. De tout ce que j'ai vu depuis dix ans sur toutes ces pauvretés qui ont agité tant d'énergumênes, je ne connais de raisonnable que la déclaration qui impose silence à tous les partis; le roi me parait très sage; mais il me parait le Roi des petites maisons. Qu'on se donne un peu la peine de se retracer dans l'esprit un tableau fidèle de tout ce qui s'est fait depuis les billets de confession jusqu'à l'arrêt du parlement de Toulouse qui déffend qu'on reconnaisse le commandant du Roi pour commandant. Qu'on aille ensuite chez le directeur des petites maisons prendre un relevé de tout ce qui s'y est fait et dit depuis dix ans, et ce n'est pas pour les petites maisons que je parierai.
Heureux, encor une fois, ceux qui cultivent en paix et en liberté, les belles lettres loin de tant de fous qui préfèrent Cicéron et Démosthêne à Beaumont et à Omer! J'ai bonne opinion du controlleur général, parce qu'on n'entend point parler de lui. Le plus sage ministre est toujours celui qui donne le moins d'édits. Je n'aimerais pas un médecin qui voudrait guérir tout d'un coup une maladie invétérée.
Je crois, mon cher frère, que Mr Le duc de Praslin raportera bientôt au conseil mon affaire des dixmes. J'espère que je me moquerai alors du concile de Latran qui excommunie les particuliers possesseurs des dixmes inféodées. J'ai plusieurs causes assez agréables de damnation par devers moi. Il est vrai que j'ai un peu les yeux d'un excommunié, et que je ne peux ni lire, ni écrire; mais on dit que je serai guéri avant le mois de juin. En attendant je vous demande toujours vôtre protection pour avoir les livres que j'ai demandés.
Le bon prêtre, auteur de la Tolérance, qu'on m'impute, vous prie toujours instamment d'empêcher qu'on ne débite son ouvrage scandaleux, mais si vous pouviez en prendre pour vous une douzaine d'éxemplaires, et les faire circuler avec vôtre prudence ordinaire, entre des mains sûres et fidèles, vous rendriez par là un grand service aux honnêtes gens, sans allarmer la délicatesse de ceux qui craignent que cet ouvrage ne soit trop répandu. Ce n'est pas encor, je crois, le temps des contes; mais on enverra le plutôt qu'on poura à mon cher frère quelque bagatelle sur laquelle on lui demandera son avis.
J'ai peur que l'exploit signifié par Mr De Crequi à son curé, ne soit une plaisanterie. Les Français ne sont pas encor dignes que la chose soit vraie. Nous avons un bien mauvais temps. Ma santé est encor plus mauvaise. Adieu, mon très cher frère. Ecr: L'inf: