17e juin 1761 . à Ferney
Je vous réïtère, Monsieur, mes sincères remerciements; on voit évidemment que toute cette persécution odieuse n'est que la suitte de l'avanture du curé Ancian.
Si les interrogés ne m'ont point trompé, il n'y a que le nommé Brochu qui ait fait la déposition dont vous m'avez parlé, sans pourtant oser se servir du mot que le sr Castin allègue. Il est clair que ce Brochu qui avait accompagné Ancian dans l'assassinat dont ils ont été accusés, n'est qu'un faux témoin complice du curé Ancian, et que son témoignage n'était pas même recevable par le sr Castin. Tous les autres protestent et jurent qu'ils n'ont pas dit un mot de ce qu'on leur fait dire, et que s'ils avaient fait la déposition qu'on leur impute, ils seraient infiniment coupables.
Je vous suplie, Monsieur, de vouloir bien m'éclaircir de ce mistêre d'iniquités. Le sr Castin joüe un rôle infâme, et celui qui le lui fait joüer est encor plus méprisable. Des gens qui se portent pour juges, et qui disent qu'ils écriront à mr De St Florentin, ne sont que de malheureux délateurs que je couvrirai d'opprobre, et leurs lâches calomnies ne me font aucune peur. On sera assez instruit qu'ils cherchent à se vanger de la manière la plus lâche de la protection que j'ai pû donner à De Croze, mais je n'ai rempli en celà que mon devoir, puisque De Croze est mon Vassal. Nous verrons alors qui l'emportera d'un seigneur qui a vû son Vassal blessé et le Crâne entr'ouvert, qui a déposé de ce crime, et qui n'a à se reprocher que de dépenser douze mille francs pour rebâtir une jolie Eglise, ou d'un curé accusé d'un assassinat, et déjà convaincu de mille violences, qui fait agir secrètement ses confrères en sa faveur. Il faudra voir de plus si en éffet ses confrères sont en droit de faire les fonctions d'official et de promoteur, malgré les loix du royaume, et si un Evêque étranger, sous prétexte qu'il n'est pas riche peut contrevenir à ces loix. Il n'y a que vôtre esprit de conciliation, Monsieur, qui puisse mettre ces messieurs à la raison. Je suis aussi touché de la noblesse de vos procédés, qu'indigné de la bassesse des leurs.
J'ai L'honneur d'être avec la plus tendre reconnaissance, Monsieur, Vôtre très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire