1762-02-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Si j'ay lu la belle jurisprudence de l'inquisition! et ouy mortdieu je l'ay lue; et elle a fait sur moy la même impression que fit le corps sanglant de Cesar sur Les romains.
Les hommes ne méritent pas de vivre puisqu'il y a encor du bois et du feu et qu'on ne s'en sert pas pour brûler ces monstres dans leurs infâmes repaires. Mon cher frère embrassez en mon nom le digne frère qui a fait cet excellent ouvrage. Puisse t'il être traduit en portuguais et en castillan.

Plus nous sommes attachez à la sainte relligion de notre sauveur Jesus christ, plus nous devons abhorrer l'abominable usage qu'on fait tous les jours de sa divine loy.

Il est bien à souhaitter que vos frères et vous donniez tous les mois quelque ouvrage édifiant qui achève d'établir le royaume de christ, et de détruire les abus. Le trou du cu est quelque chose. Je voudrais qu'on mit en sentinelle un jésuite à cette porte de l'arche.

On a imprimé en Hollande le testament de Jean Mélier. Ce n'est qu'un très petit extrait du testament de ce curé. J'ay frémi d'horreur à la lecture. Le témoignage d'un curé qui en mourant demande pardon à dieu d'avoir enseigné le cristianisme peut mettre un grand poids dans la ballance des libertins. Je vous enverrai un exemplaire de ce testament de l'antécrist, puis que vous voulez le réfuter. Vous n'avez qu'à me mander par quelle voye vous voulez qu'il vous parvienne. Il est écrit avec une simplicité grossière qui par malheur ressemble à la candeur.

Vraiment il s'agit bien de Zulime, et du droit du seigneur ou de L'écueil du sage, que le philosophe Crebillon a mutilé et estropié croyant qu'il égorgeait un de mes enfans! Jurez bien que cette petite bagatelle est d'un académicien de Dijon; et soyez sûr que vous direz la vérité. Mais ces misères ne doivent pas vous occuper. Il faut venir au secours de la sainte vérité qu'on attaque de touttes parts. Engagez vos frères à aprêter continuellement leur plume et leur voix à la deffense du dépost sacré.

Vous m'avez envoyé un beau livre de musique à moy qui sais àpeine solfier. Je l'ay vite mis ès mains de notre nièce la virtuose. Je suis le coq qui trouva une perle dans son fumier et qui la porta au lapidaire. Madelle Corneille a une jolie voix, mais elle ne peut comprendre ce que c'est qu'un dièze.

Pour son oncle, le rabâcheur et le déclamateur, le C. de Bernis dit que je suis trop bon, et que je l'épargne trop.

J'ay fait très sérieusement une très grande perte dans l'impératrice de touttes les Russies.c On a assassiné Luc, et on l'a manqué. On prétend qu'on sera plus adroit une autre fois. C'est un maitre fou que ce Luc, un dangereux fou. Il fera une mauvaise fin, je vous l'ay toujours dit. Interim vale; te saluto in christo salvatore nostro.