[c. 1 February 1762]
Ma chère nièce, sans doute j'irai vous voir si vous ne venez pas chez moi; mais il faut conduire l'édition de Corneille qui est commencée.
En voilà pour un an. Je vous renverrai Cassandre dès que ceux à qui je l'ai confié me l'auront rendu. Il est juste que vous l'ayez entre les mains. Vous verrez si chaque acte ne forme pas un tableau que Vanlo pourrait dessiner.
On a mutilé, estropié trois actes du Droit du seigneur ou de l'écueil du sage, à la police. C'est le bonhomme Crébillon qui a fait ce carnage, croyant que ces gens là étaient mes sujets. Il faut permettre à Crébillon le radotage et l'envie. Le bonhomme est un peu fâché qu'on se soit aperçu qu'une partie carrée ne sied point du tout dans Electre.
Je voudrais pour la rareté du fait que vous eussiez lu ou que vous lussiez son Catilina que made de Pompadour protégea tant, par lequel on voulait m'écraser, et dont on se servit pour me faire avaler des couleuvres dont on n'aurait pas régalé Pradon. C'est ce qui me fit aller en Prusse, et ce qui me tient encore plus éloigné de ma patrie. J'ai connu parfaitement de quel prix sont les éloges et les censures de la multitude, et je finis par tout mépriser.
Le droit du seigneur n'a été livré aux comédiens que pour procurer quelque argent à Thiriot, qui n'en dira pas moins du mal de moi à la première occasion, quand mes ennemis voudront se donner ce plaisir là. Il doit avoir la moitié du profit, et un jeune homme qui m'a bien servi doit avoir l'autre.
Mon impératrice de Russie est morte; et par la singularité de mon étoile, supposé que j'aie une étoile, il se trouve que je fais une très grande perte.
Vous savez que le roi de Prusse a été assassiné, et que le coup n'a point porté. Il est à croire, qu'une autre fois on sera moins maladroit.
Je vous embrasse le plus tendrement du monde et votre gros garçon.