à Ferney le 2 mars 1763
Je vois, monsieur, par votre lettre du 18 février que vous êtes l'apôtre de la raison.
Vous rendez service à l'humanité en détruisant autant que vous le pouvez dans votre province, la plus infâme superstition qui ait jamais souillé la terre. Nous sommes défaits des jésuites, mais je ne sais si c'est un si grand bien; ceux qui prendront leur place se croiront obligés d'affecter plus d'austérité et plus de pédantisme. Rien ne fut plus atrabilaire et plus féroce que les huguenots, parce qu'ils voulaient combattre la morale relâchée. Nous sommes défaits des renards, et nous tomberons dans la main des loups. La seule philosophie peut nous défendre. Il serait à souhaiter que le sermon des 50 fût dans beaucoup de mains, mais malheureusement je ne puis plus en trouver.
J'ai trouvé un testament de Jean Mélier, que je vous envoie. La simplicité de cet homme, la pureté de ses mœurs, le pardon qu'il demande à dieu et l'authenticité de son livre doivent faire un grand effet.
Je vous enverrai tant d'exemplaires que vous voudrez du testament de ce bon curé. L'affaire des Calas a été rapportée; elle est en très bon train; je réponds du succès. C'est un grand coup porté à la superstition, j'espère qu'il aura d'heureuses suites.
J'ai marié madlle Corneille à un jeune gentilhomme de mon voisinage, infiniment aimable; c'est un de nos adeptes, car il a du bon sens. Adieu monsieur, cultivez la vigne du seigneur, conservez moi vos bontés, et soyez persuadé de mon tendre respect.
Christmoque