Mardi 14 octbre [1755] à Paris
Je vous adresse mon très cher et très illustre ami, un jeune homme de bonne éducation et de beaucoup d'esprit.
C'est M. Patu, qui n'a pas besoin d'autre recommandation que de se présenter lui même. Il est extrêmemt versé dans la Littérature angloise, où vous lui avés servi de guide comme dans plusieurs parties des belles lettres. C'est lui qui fournit l'article du Journal Etranger pour les ouvrages anglois. J'ai connu bientôt son bon goût par la passion qu'il a pour les bons ouvrages et plus particulièremt pour les vôtres. Il en est dominé au point qu'il part uniquemt pour vous aller voir, et connoitre celui qu'il a choisi pour son Maître. Il est dans le dessein de séjourner auprès de vous autant qu'il lui sera possible. Il part accompagné de M. Palissot, qui n'a pas moins de mérite, qui vous étonnera par sa mémoire aussi rare que son goût. Ce dernier va reconnoitre un emploi qu'on lui a donné dans les environs de Lion, mais rempli d'admiration et d'estime pour M. de Voltaire, il va en vérité vous chercher autant que son emploi. Je l'ai rencontré dans plusieurs Maisons où je l'ai fort bien remarqué, et quoi qu'il ne me soit point venu voir comme M. Patu, il mérite que je vous en parle aussi et que je vous prévienne en sa faveur. Voilà donc deux jeunes gens que vous devés regarder comme deux de vos disciples que vos ouvrages ont formé, mais à qui il manque d'avoir veu et entendu leur Maître, à ce qu'ils croyent.
Je n'ai point répondu à votre lettre du 1er octobre, parceque j'ai été quelque tems à la Campagne. Il n'est pas possible de deffendre sa paresse, ou plustôt son indifférence pour un ouvrage original, intéressant et trop négligé, avec autant d'esprit et de bonne plaisanterie que vous le faites. Vous aurés beau dire, c'est à de telles folies qu'il fault comme Virgile joindre l'embellissemt et l'élégance, ludicris rebus addere honorem. Vous me connoissés trop pour ne pas sentir que je donnerois infinimt la préférence de votre travail et de vos efforts pour votre hist. univ. Mais comme on sait que vous vous délassés d'un ouvrage par un autre, on vous demande pour corriger celui ci les momens où vous êtes dans vos jardins, ou sur un lit de repos. On va reprendre l'Orfelin que le Public attend avec empressemt. Le Libraire Lambert, qui imprime tout le receuil complet de votre Théâtre, qu'il est sur le point de finir, demande votre dernier mot sur l'Orfelin.
Je vous remercie de ce que vous m'avés écrit sur M. le Comte de Lauraguais, il y a été sensible et cela m'a été favorable. Je me flatte qe M. Tronchin et votre sobriété vous maintiennent en bonne santé.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Tht