Lundi 16 May [June] 1766 à Paris
Mon doux et consolant ami, Je suis infiniment sensible à la part que vous prenés à ma mauvaise santé et au petit rayon de gloire et de fortune que le sort vient de faire luire sur ma médiocrité.
Aussi êtes vous le seul au monde avec qui je m'en entretienne, puis que vous me faites l'amitié de m'écouter. Il y a déjà longtems que toutes mes forces sont revenües, et mon hydrocèle est diminüé depuis six semaines, que je prends l'Eau de santé du s. De Wyl, de plus d'un tiers. Je ne désire que le progrès de ce que j'éprouve et j'espère vivre autant que le Cardinal de Fleuri sans hydrocèle. Mon second Roi, comme disoit Marot, vient d'ordonner que je sois payé tous les trois mois, et a eu la bonté de me permettre de lui écrire sous ma dictée, quand je ne pourois pas faire autrement. Il y a bien de l'humanité de sa part dans la grâce qu'il m'accorde. Je ne vais point courir les cercles pour lui chercher des nouvelles, et je n'attends rien de tous nos rimailleurs de Paris, pour flatter son goût pour les Vers. Il fault vous dire quel est mon petit arrangement pour lui composer ma feuille Littéraire tous les huit jours. Je dresse une demie douzaine de Notices aussi succintes et aussi claires qu'il m'est possible de tous les ouvrages d'histoire de Philosophie, de belles Lettres qui se font distinguer, et je finis par un article de Vers choisis, que mon goût me suggère, pris de tous nos auteurs françois que je supôse toujours qu'il ne connoit pas, parce qu'il n'a jamais eu le loisir de les chercher et d'en meubler sa teste. C'est ce qui a fait dire que j'avois le secret de lui apprendre toujours quelque chose, et que les autres ne lui aprenoient rien. C'est ce qui fait enfin, que quand je n'ai point de vers nouveaux et picquants, j'en sais toujours trouver qui ont ce caractère pour lui.
J'ai de plus quelques amis qui me secourent et m'obligent en m'envoyant par la petite poste un bulletin de ce qu'ils ont ramassé dans la semaine. J'étois informé déjà de tous les ridicules et du fanatisme de vos républicains ingrats que je n'ai jamais aimé. Je souhaite que nos trois plénipotentiaires françois leur donnent autant de fil à retordre qu'ils le méritent.
Je vais vous écrire àprésent comme j'écris au grand Federic. Un de nos illustres du tems M. Dorat vient de faire imprimer sa tragédie de Theagène, qui fut joüée en 1764 et qui tomba à la 1e représentation. Elle est précédée d'un discours préliminaire écrit avec assés de légéreté, où il y a des choses plaisantes, et qui vaut peut être mieux que la pièce.
Que d'incertitude encor dans les observations les plus exactes et les plus sûres. Un nouveau Naturaliste a découvert que ces Polypes que M. Trembley a pris pour de véritables animaux ne sont en effet que le sac, ou le foureau qui contient des animaux infinimt plus petits, et que ce qu'il a pris pour un individu est une famille très nombreuse réunie sous le même toit. Cette singulière découverte est l'objet d'une lettre de M. de Romé de l'Isle à M. Bertrand, petit écrit bien fait.
L'auteur de la Physiqe de l'histoire, l'abé Pichon, vient de publier deux écrits qui paroissent au moins singuliers. Le 1er est un Mémoire sur les abus dans les mariages et sur le moyen possible de les réprimer. Le moyen que propose l'auteur pour rapeller les bonnes Moeurs chés les femmes, seroit de suprimer les Dots qui sont accordées aux filles en les mariant, et de les priver de toute espèse de droit aux successions that directes qe collatérales. Il faut voir les inductions qu'il en tire. Le 2d Ecrit a pour titre, les Droits respectifs de l'Etat et de l'Eglise rapellés à leurs principes. Celui cy est un peu Métaphysique; mais il y a d'assés bonnes choses, et l'Auteur qui marchoit icy sur des cendres chaudes a sçu se tirer assés bien de cette délicate matière.
L'accident arrivé à M. le C. de St Florentin a fait faire beaucoup de mauvais vers. En voici dans le Génie français qui trouve à plaisanter sur tout. Ils méritent qu'on ne les oublie pas.
Tht
Je vous embrasse de tout mon cœur.