Samedi au soir 10 Juillet [1756] à Paris
Oh! pour le coup voici nos Prophéties accomplies.
Je vous en fais de très sincères compliments mon très cher et très illustre ami, et je partage de tout mon coeur la joye où vous êtes. Port Mahon est rendu. M. le Duc de Fronsac en a été porter la nouvelle à Compiegne à trois heures du matin. Il a été attaqué le 28 et il a été pris par escalade le 30. On n'y a perdu que 600 hoes et 25 officiers. Le Lieutent Frisch, qui remplaçoit le vieux Blakney qui ne pouvoit pas être de service, a été fait prisonier, et dès lors on a demandé à capituler. C'est M. le d. d'Egmont qui doit nous aporter demain la capitulation et tout le détail de la prise de cette importance forteresse que les anglois possédoient depuis 50 ans, et dont nous allons faire vraisemblablemt présent aux Espagnols. M. le Maréchal de Richelieu venge donc par cette belle Expédition son Roi, sa Nation et toute l'Europe de l'Insolence et de l'orgüeil d'un Peuple aussi ridicule qu'injuste et insuportable. Un des Membres de la Chambre des communes avoit osé dire qu'il ne falloit pas désormais qu'il fût tiré un coup de canon sur la Mer sans la permission du Peuple anglois. Je crois que les sages en rirent un peu plus fort que de M. Shippring. Il fault que la tête leur ait tournée, et qu'ils ayent la rage müe pour attaquer les Vaissaux de toutes les autres Nations comme ils font depuis six Mois. Cet Evénémt va, j'espère, refroidir ces Têtes chaudes; et je vous prophétise une révolution chés eux avant qu'il soit un an, si nous nous conduisons toujours aussi sagemt et aussi heureusemt que nous avons commencé.
J'ai apris que vous alliés avoir de très belles Visites. M. Dalambert a retenu une place à la diligence de Lyon pour le 20, et de là poursuit sa course jusqu'à Geneve pour vous voir. Un Damné d'Espion m'a dit aussi, en me faisant part des succès de Mle Cleron et des faveurs qu'elle reçoit de la fortune et peut être encor de l'amour, qu'en revenant de Marseille elle devoit se rendre furtivemt aux Délices pour y recevoir un Présent que Melpomene vouloit lui faire par vos mains. Voyés si je ne suis pas bien instruit par mon Damné. Il m'a dit aussi que M. le Présidt de Berlin n'y retourneroit peut être pas, que M. le comte Dargenson depuis plus de six Mois après des tentatives incroyables et toujrs inutiles et vaines l'avoit fait réintégrer dans l'acad. des Sciences dont il s'étoit exclus lui même, sur le pied de Vétéran par un Ordre du Roi qui fut receu sans contradiction, mais sans consentemt et sans Liberté. C'est ce que M. Dalambert pourra vous certifier, s'il veut vous dire la Vérité. Je n'ose vous nommer mon Damné qui me deviendroit inutile, car vous le connoissés et vous n'en douteriés pas.
Mad. de Grafigny m'aprit aussi que depuis que Mad. la Comtesse de la Marque avoit leu la Beaumelle qui s'étoit introduit chés elle, il en avoit été chassé en lui disant qu'il étoit un très méchant et très malhonête homme.
M. Algarotti, qui m'a toujours honoré de son souvenir, vient de m'envoyer un Essay sur le Dramme Lyrique Italien et sur le françois. Il y a d'excellentes veües, mais il ne fait qu'effleurer. Il critique très bien Métastasio et il n'a pas assés senti le mérite de Quinaut pour s'en tenir à lui seul comme l'unique modèle en ce genre. Il tient encor trop à l'antiquité et à la véritable Tragédie. N'êtes vous pas de cet avis, car vous avés veu ce petit ouvrage qui m'a été remis fort tard? Je lis vos Mélanges Litter. Philosophiq. et historiq. Ils me plaisent infinimt davantage que les Let. Persanes, qui me plaisent beaucoup. Ce livre ne contient que des propositions sans preuves et raremt discutées. Il ne va que par sauts et par bonds. Tout est avancé, déduit et prouvé chés vous avec clarté, variété et fécondité. Il n'a pas l'art d'instruire et de plaire co͞e vous et vs faites pr le moins autant penser que lui.
Tht