4 May 1739 à Paris
Monseigneur,
J'étois bien persuadé que le sentiment de Votre Altesse Royale sur la satire des adieux s'accorderoit avec l'indignation et le mépris que je me suis donné la liberté de lui en témoigner.
Vous aurés veu Monsgr que j'y suis traduit aussi bien dans la satire de Psaphon; et il y a eu peu de coups que la méchanceté aye porté à M. de Volt. dont je n'aye eu les éclaboüssures; mais grâces à mon stoicisme je les ay si conséquement et si complètemt méprisé que c'est à cela même que je dois en partie quelque réputation de sagesse que la voix publique m'accorde. Une pareille conduite Mgr ne peut manquer d'avoir votre aprobation, puisq. par vos dernières lettres vous me faisiés l'honneur de me marquer, qe vs conseilliés la même chose à M. de Volt. qe vs renvoyés pour cela à son Epître sur la Modération. Je sens que c'est un effort pr l'amour propre, et je souhaiterois pour le repos de M. de Volt. ql en fut capable.
Je ne vois pas Mgr ql y aye lieu de me racomoder avec lui, co͞e vs me faites l'honneur de me le marquer par ve dernière que je dois le faire. Il faudroit pour cela qe ns fussions brouillés. Nous sommes au contraire dans le même commerce d'amitié, de correspondance et de confiance étroite ql y a eu toujrs entre nous, et qui n'a jamais souffert d'altération, que par des différences d'avis et des explications, que le plus gd nombre de ses anciens amis, amis d'ailleurs les plus raisonnables, ont toujours décidé en ma faveur. Mais enfin je vois avec une très gde satisfaction que depuis plus d'un mois, il ne pense plus à la Voltairomanie, qu'il n'auroit pas dû cesser de mépriser. Depuis ce tems là ses Lettres et celles de la Marq. n'en font pas la moindre mention, et sont rentrées dans leur ton d'amitié et de gayeté ordinre et s'il ne falloit pr en convaincre V. A. R. que les envoyer rien ne seroit plus facile.
Quand à la manière éclatante dont vous exigés Mgr mon racomodemt avec Mr de V. et l'intérest que vs avés la bonté d'y voir pr ma réputation, cela seroit bon, et je ne serois pas à le faire, si nous passions dans le Public pr être brouillés, mais encor rien de cela. Tout Paris sait la continuation de notre amitié et de notre correspondance. Je fais même voir dans cette intention là celles de ses lettres qui peuvent se montrer. Il me charge tous les jours de commissions auprès de ses protecteurs et de ses amis. En fin Mgr je porte au doigt son portrait dont il vient de me fe present, et je l'ai embelli de plus de deux cent Ecus de diamans. Ainsy V. A. R. voit qe nous ne sommes ny brouillés ny ne passons pour l'être.
Malgré cela Mgr V. A. R. désireroit elle quelque démarche de ma part envers le public, lorsqu'elle a la bonté de m'ecrire de lui faire ce plaisir? Il n'y a rien Mgr qe je ne fisse pr satisfe vos moindres désirs et vous témoigner ma parfaite soumission. Mais qu'elle est cette démarche? Je l'ay demandé à M. de V. et à Made Du Chastelet, qui n'ont jamais rien proposé ny de précis, ny d'admissible, je ne dis pas à mon jugemt seulemt mais à celui de tous leurs parents et leurs amis, qui ont tous ainsy que le public trouvé ma Lettre à Made du Ch. aussi suffisante qu'elle étoit nécessaire. L'imposture étoit confondue, le mépris de l'Ecrivain et de se Eloges pour moy étoit bien marqué, mon Estime et mon attachement pour M. de Vol. bien prononcés, ainsy tout se trouvoit consommé, et d'autres démarches m'auroient rendu, infructueusemt pr M. de Volt., ridicule et hors de mon charactère, car permettés moy de vous dire que j'ai été en état de juger des choses mieux que M. de V. et qe nous avons des usages qu'on n'enfraint pas impunément. Ce n'est pas que M. de Volt. ne les sache, mais sa passion et son éloignemt étoient des raisons pour ne point suivre toutes ses idées. Il étoit à mon égard, moy étant à Paris et fort répandu, ce que seroit un homme éloigné d'un tribunal où il plaideroit à l'égard d'un autre qui seroit sur les lieux à la suite des juges et à portée de savoir l'air du Bureau à chaq. moment.
Soyés persuadé M. qe personne n'est plus attaché que moy à mes amis, et que si j'ai résisté, co͞e il m'est arrivé souvent, à M. de Volt. c'étoit pr son intérest, que j'ay toujours mieux senti qu'il ne le sentoit lui même. Aussi feu M. L. D. de Sully m'apelloit il son bon sens, et feu M. L. P. de Maison disoit il que ses acides avoient besoin d'être emportés de mes alcalis.
Au reste M. je finis en vous assurant de la soumission la plus respecteuse et de l'empressemt le plus sincère à vs obéir en tout ce ql vs plairoit de m'ordonner. C'est dans ces sentimens que je suis avec un très profond respect et un attachement sans bornes.