Dimanche 1er février [July 1759] à Paris
C'est uniquement ma faute, mon très illustre ami, si je n'ai pas receu plustôt les cent vingt livres.
Madame de Fontaine avoit envoyé plusieurs fois chés moi m'avertir de les venir recevoir. Je les ai receu, je vous en suis donc très obligé. Ce que je vous ai donc envoyé depuis monte à trois livres, et rien de plus. C'est l'administration des Terres et la Censure de Sorbone, afin que vous voyés la forme dans laquelle ces grands Docteurs condamnent un livre Philosophique. Je vous les ai fait tenir par la diligence de Lyon en adresstà M. Tronchin. Je prendrai cette voye comme la plus facile et la moins coûteuse, surtout depuis la grande révolution qu'on prépare par une régie bien plus sévère dans les postes. Je vous garde une autre petite brochure de 16 pages que je joindrai à la première bagatelle qui méritera de vous être envoyée. C'est une lettre de Gresset qui abjure le Théâtre en demandant pardon au Public des mauvaises pièces qu'il a faites. Il déclare qu'il vient d'en brûler deux, et qu'il va mettre sous une autre forme la troisième qui attaquoit les foibles esprits forts de ce siècle. Enfin pour nous toucher, comme il prétend l'être, il finit par nous rapeller la dernière Comête qu'on est bien étonné de trouver là pour embellir et soutenir sa Morale. Alexis Piron la renvoya dernièremtà un de mes amis avec ce huitain:
Quelques honnêtes gens qui soupçonnent que cette Comête de M. Gresset et sa Lettre nous pouroient bien prognostiquer l'inclination qu'il auroit d'entrer au service de nos fils de France pour leur éducation.
Je tiens que nous n'allons point débarquer en Angleterre si le Prétendant ne débarque en même tems en Ecosse ou en Irlande. De celui cy je n'en sais rien, mais on descend dans de trop grands détails pour l'exécution de l'autre, et les dépenses immenses que l'on a fait, et qu'on continue de faire pour notre Expédition me font croire que l'entreprise se réalisera.
Il est venu ces jours cy des lettres de M. de Lally qui nous donnent de grandes espérances sur la prise de Madras.
Votre parafrase en Vers du Salomon de Jerusalem ne paroit pas encor, dont je suis bien étonné. Il me paroit que l'Ecclésiaste a généralemt la préférence sur le Cantique des Cantiques. Vous parlés peut être mieux à l'Esprit qu'au coeur.
Il n'y a rien de si Philosophique et de si intéressant pour l'humanité que le but que vous vous proposés dans l'histoire de Pierre le Grand. Rien de plus vrai, de plus conforme à la raison universelle que les Créateurs doivent être au dessus des Destructeurs. Cela vous mettra au dessus de tous les historiens et des Précepteurs des Rois.
Je n'ai point veu une Tragédie de Briseis et d'Achille dont on m'a dit beaucoup de très beaux vers. Elle est d'un jeune homme qu'on apelle Poincinet qui connoit bien les Poètes Grecs et qui a donné une traduction de plusieurs morceaux d'Anacreon, de Bion, Moschus. Callimaqe& qui a été goûté. Il fault que sa Tragédie ait de l'intérest et des beautés puisqu'elle se soutient, par Mle Gaussin toute seule.
Je suis fâché de m'être si fort pressé pour me faire Cent écus de rente avec deux mil cinq cent Livres dans la dernière création viagère. J'aurois bien mieux fait de les mettre en actions des fermes qui gagnent déjà un pour cent. Je ne serois point surpris que ce papier ne vienne à dix et à douze. Il est agréable d'avoir de quoi pouvoir disposer, et c'est une consolation qui me manque avec bien d'autres, mais il faut vouloir ce que Dieu veut, et songer toujours à bien faire.
Je me fais un grand plaisir de mener avec vous la vie des Patriarches et d'être éloigné du Luxe et de la Misère que l'on voit icy. Mais je voudrois bien que touts vos bâtiments fussent finis quand je pourai vous aller voir. J'aime l'architecture, et j'ai toujours détesté les Maçons. Je vous félicite d'avoir Mle Fel et Mr son frère. J'en fais aussi compliment à Madame Denis, si nécessaire aux plus habiles, et à qui les plus habiles le sont. J'ai procuré à M. son Neveu, de concert avec M. Graph, M. Exodet pour Maitre de Violon. Il s'y apliqe tous deux beaucoup le Maitre et le Disciple, mais le Disciple quitte malheureusement pour aller en Picardie. M. Belidor est à Verdun faisant ses cours de génie. Il fault m'adresser à présent mes lettres à l'Arçenal tout simplemt parce qe je ne loge plus chés lui.
Vale.
Tht