à Tourney par Geneve 20 juillet 1759
Madame la parmesane il faut commencer par vous rendre mille actions de grâces.
Quelle bonté vous avez d'entrer dans tous ces détails de vieux chevaliers! et ce qui m'en plait encor autant, c'est que vous avez une santé brillante. Car rien ne pèserait tant à une malade que d'écrire tant de choses si réfléchies. Je L'éprouve bien tristement. Il m'a pris un éblouissement, un je ne sçais quoy qui accomode fort peu les idées.
Tronchin est venu au secours de ma pie mère et de ma dure mère, et c'est à son insçu que j'ay l'honneur de vous écrire. J'ay mis, mes divins anges, touttes vos remarques avec la pièce; et je ne reverrai ce procez que quand j'aurai la tête bien nette. En attendant je vous envoye pour vous amuser Le drame de feu mr Tompson traduit par mon ami mr de Faitema.
Je ne veux d'icy à quinze jours penser ny aux chevaliers ny à Pierre le grand. J'oublierai jusqu'à M. l'abbé Despagnac. Il n'en est pourtant pas des affaires comme d'une pièce de téâtre et d'une histoire. Ces ouvrages gagnent à se reposer, et les affaires perdent à n'être pas suivies. Mais si je veux vivre, j'ay besoin d'un parfait repos pour quelque temps.
Ne vous fâchez pas contre moy d'être comtesse. C'est un usage reçu. C'est un titre qu'on donne à baucoup de ministres qui ne vous valent pas, et si vous étiez en pays étranger, il faudrait bien vous y acoutumer malgré vous. Tout mon malheur est que vous n'ayez pas L'ambassade de Suisse. Mais pourquoy non? Cela vaut cent mille livres de rente, et on est bien pis que comte, on est roy. Après le plaisir de voir couper ses bleds et battre en grange, c'est le premier des emplois. Les douze mille fromages de Parmesan ne sont rien en comparaison. Vous auriez une bonne trouppe de comédiens à Soleure. Vous viendriez voir le petit château que je bâtis. Vous seriez enchantéz de mon châtau, il est d'ordre dorique, il durera mille ans. Je mets sur la frize Voltaire fecit. On me prendra dans la postérité pour un fameux architecte. Vous ne vous souciez point de tout cela parce que vous êtes à Paris. Mais peut on ne jamais sortir de Paris? J'aime mon csar qui dans un clin d'oeil allait bâtir à Arcangel, à Astracan, sur la mer Noire, sur la mer Baltique. Mon dieu que vous êtes casaniers!
Dites moy donc comment se trouve M. le comte de Choiseuil de son voiage. Ne sera t'il pas bien excédé de l'étiquette de la cour de Vienne. Vous n'auriez point d'étiquette en Suisse, vous régneriez comme vous voudriez. Si je n'avais pas acquis des terres qui me tournent la tête je supplierais Monsieur le duc de Choiseuil de me donner un consulat au grand Caire ou en Grèce. J'enrage de mourir sans avoir vu les piramides et les ruines du téâtre d'Eschile.
A propos est il vray que Ste Foy est secrétaire de M. le comte de Choiseuil? Je seray attrappé s'ils ne se brouillent dans trois mois. Et Gresset, quel fat! Poincinet, une tragédie! Cela a l'air d'un conte de fée. Je baise les ailes de mes anges.