1759-06-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon divin ange parmesan, je reçois enfin un mot de votre écriture céleste, et un volume de critiques de Scaliger de la main de madame l'envoyée de Parme.
Sa négociation ne sera pas difficile. Vous ne songez pas qu'il s'est passé trois semaines entre l'envoy de la chevalerie et votre réponse, et que pendant trois semaines il faut bien qu'une tragédie ait le temps de changer de visage. Aussi en a t'elle changé tous les jours. Je viens d'entrevoir quelques critiques aux quelles j'ay répondu il y a plus de quinze jours par des vers bons ou mauvais.

Quelque respect que j'aye pour ce barbare de grand homme Pierre premier, je l'abandonne à tout moment pour les chevaliers. Les terres me désolent, mr Despagnac m'opprime, les fermiers généraux me tourmentent. J'ay peu de foin, et cependant il faut faire des tragédies et des histoires avec une santé déplorable. Mademoiselle Fell a beau adoucir mes maux par son joli gozier, la tête va me tourner.

Mon cher ange quelle différence de M. le duc de Choiseuil à mr l'abbé! Cependant vous n'aviez point hébergé, alimenté, razé, désaltéré, porté M. le duc de Choiseuil. J'augure bien de nos affaires entre les mains d'un homme qui pense si noblement, qui fait du bien à ses amis. C'est une belle âme. Dites moy donc un peu, n'est il pas très bien avec la personne envers qui on prétend que Babet fut ingrate?

Ah ça combien de fromages de Parmesan vous donne t'on par année? N'esce pas douze mille?

Je veux que mon ange soit à son aise. Vraiment Monsieur le duc de Choiseuil a eu très grande raison de créer ce poste. Le beau père Stanislas a un ministre et le gendre n'en aurait pas!

La poste part, je n'ay pas eu le temps de lire le volume de madame Dargental. Je vais le dévorer. Je baise le bout de vos ailes à tous tant que vous êtes.

le Suisse V.