1759-08-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon divin ange esce que mr Faitema n'aurait pas trouvé grâce devant vos yeux?
Voyci pour vous rejouir un gros paquet contenant des choses délicieuses, un billet de M. Fabri, fermier de Gex, c'est à dire son reçu de son tiers de lods et ventes. Quelle lecture agréable! Et puis une lettre à M. l'abbé d'Espagnac, pleine de jérémiades sur le sort des pauvres seigneurs de châtau, et une lettre à mr de Chauvelin l'ambassadeur. Je me console au moins avec luy de cet embarras d'affaires. Savez vous que je passe les jours entiers dans ces discussions de toutte espèce? Il faut s'acoutumer à tout. Cette vie là ne me déplait point. Elle est toutte remplie. Il est plus doux qu'on ne pense de planter, de semer, et de bâtir. Je me plains toujours selon l'usage, mais dans le fonds je suis fort aise.

Je réserve les chevaliers pour le temps des vendanges. Vous mon cher ange, et mr de Chauvelin qui daignez être mes médiateurs avec M. Despagnac vous n'échouerez pas dans votre négociation. Lisez ma lettre à mr Despagnac et vous verrez si j'ay raison. Lisez aussi ma dépêche à mr de Chauvelin et vous jugerez si le conseil de Mg. le comte de la Marche n'a pas baucoup de torts.

Enfin donc je crois que mes russes sont près du grand Glogau. Qui croirait que la Barbarini va être assiégée par mes russes; et dans Glogau! O destinée! Je n'aime point Luc, il s'en faut baucoup. Je ne lui pardonnerai jamais ny son infâme procédé avec ma nièce, ny la hardiesse qu'il a de m'écrire deux fois par mois des choses flatteuses sans avoir jamais réparé ses torts. Je désire baucoup sa profonde humiliation, le châtiment du pécheur; je ne sçai si je désire sa damnation éternelle.

Mon divin ange vous ne m'écrivez point. Vous ne me dites rien des succez de Mr le comte de Choiseuil à la cour de Vienne. Je sçais sans vous qu'il y réussit baucoup. Je suis toujours enchanté de M. le duc de Choiseuil et si enchanté que je ne luy demande rien. Je ne veux point du tout l'importuner pour ma terre viagère de Tourney. Je veux qu'il sache que je luy suis attaché par goust, par reconnaissance, et que l'intérest ne déshonore point mes sentiments généreux.

Comment se porte madame Scaliger? Je suis à ses pieds, et bientôt je travaillerai sur ses commentaires. Adieu divins anges. Je souhaitte à votre nation tous les succez possibles dans le continent et dans les iles.

A propos parlez vous italien? Mille tendres respects à tous les anges.

V.