[?14 October 1759]
Pour me dépiquer des malheurs publics et des miens propres, (car je navige malheureusement dans la barque) je me suis mis à jouer force tragédies, et nous gardons des rôles pour madame l'ambassadrice; nous jouâmes Fanime ces jours passez.
La scène est à Sayd, petit port de Sirie. Nous eûmes pour spectateur un arabe qui est de Said même, qui sait sept ou huit langues, qui parle très bien français, et qui eut baucoup de plaisir. Savez vous bien que j'ay eu un autre arabe? C'est l'abbé d'Espagnac. Pourquoy faut il qu'un homme si coriace soit si aimable? Vivent les gens faciles en affaires. La vie est trop courte pour chipoter.
Vous connaissez la belle lettre de Luc où il parle si courtoisement de mr le duc de Choiseuil. J'ay bien peur que mes Russes n'aient pris aussi une lettre qu'il m'adressait. Cet homme ne ménage pas plus les termes que ses trouppes. Il perdra ses états pour avoir fait des épigrammes. Ce sera du moins une avanture unique dans les croniques de ce monde.
Je suis un grand babillard monsieur mais il est si doux de s'entretenir avec vous des sottises du genre humain, et de vous ouvrir son cœur; je compte si fort sur vos bontez que je me suis laissé aller. Conservez moy et madame l'ambassadrice un peu de souvenir et de bienveillance. Je vous avertis que made Denis est devenue très digne de jouer les seconds rôles avec madame de Chauvelin. L'oncle et la nièce sont à ses pieds. Je vous présente mon tendre respect dans la foule de ceux qui vous aiment.