29 juin [1759]
Mon divin ange! moy fâché contre vous! qui vous a dit cette anecdote? où l'avez vous prise?
Vous êtes bien mal instruit pour un plénipotentiaire. Ne sçai-je pas que vous avez eu plus d'une affaire? et ne sçai-je pas encor que vous avez daigné vous intéresser aux miennes? Je ne suis pas si suisse que je n'entende raison. Ne l'ai-je pas entendue sur les chevaliers? n'ai-je pas fourbi de nouvau leurs armes? n'ai-je pas à peu près fait ce que madame Scaliger ordonait?
Mon ange que les fondements soient bien ou mal faits, il n'importe. Il faut donner la maison à made la marquise. Il faut la confier à mr le duc de Choiseuil et que de ses mains bienfaisantes elle passe dans les belles mains de son amie. Il voulait, disiez vous, une tragédie pour pot de vin du brevet. La voylà. Trêve à vos critiques, laissez place à mr de Choiseuil et à me de Pompadour pour faire les leurs. Ils s'en intéresseront davantage au bâtiment quand ils y auront mis quelque pierre. Cecy n'est point affaire de téâtre, c'est affaire d'état.
Vous m'avez laissé ignorer la bonne plaisanterie de la grand’ chambre qui voulait députer à l'infant, et empécher qu'aucun conseiller du parlement connût jamais les intérêts d'aucun état. Enfin vous voylà compatible. Est il vray que vos confrères ont rendu un arrest contre ceux qui ne saignent pas dans la pleurésie? Cet arrest doit être imprimé avec celuy qui condamne l'enciclopédie. On pourait faire un beau volume de ces arrêts là.
Qu'importe mon cher ange, qu'on donne mon russe tome à tome, ou tout en bloc? C'est l'affaire des libraires et je ne m'en mêle pas. Je me mêle de plaire à l'autocratrice de touttes les Russies. Il me faut une impératrice au moins dans mes intérêts, car je ne peux en conscience aimer Luc. Ce roy n'a pas une assez belle âme pour moy. Il me semble que M. le duc de Choiseuil le connaît bien. Je vous demande en grâce mon cher ange de souhaitter au moins qu'il soit puni.
Et ce polisson de Gresset qu'en dirons nous? quel fat orgueilleux! quel plat fanatique! et que les vers de Pirron sont jolis!
Mais que Mr d'Espagnac est raboteux, qu'il est difficile! Il demande des choses impossibles, des choses que je n'ay point. C'est le dieu des jansenistes, il commande pour qu'on n'obéisse pas. Je luy ay donné dix fois plus d'éclaircissements que jamais aucun possesseur de Fernex n'en a donné depuis le douzième siècle. Je suis aussi honteux que reconnaissant de vos bontez, de vos peines, de celles de M. l'ambassadeur de Chauvelin. Je baise toutes les ailes.
M. le comte de Choiseuil est donc party et déjà près de Vienne. Mais battra t'on Luc? C'est là le grand point. Il serait bien honteux de faire avec luy une paix qui serait pour luy un triomphe.
Je ne peux encor penser à un sous brevet pr Tourney, je ne peux que songer à vous, mes anges, à Pierre le grand, à mes chevaliers et à mes foins, vous embrasser tendrement avec la plus vive reconnaissance, et vous aimer à jamais. Je suis très malingre, comment vous portez vous?
V.