[c. 5 March 1777]
Mon cher ange j'ay reçu une lettre du 28 février écritte si menu et d'un encre si blanc ou si blanche, que mes vieux yeux ont pu à peine la lire.
Encor une fois je n'ai reçu aucune lettre de mr de Célis ni de m. l'abbé Pezzana.
Si vous voiez papillon philosophe je vous suplie de lui dire que l'autre papillon est le seul dont je sois content. Il s'est arrangé avec moy. Il a payé moitié. C'est beaucoup. Les souverains n'en font pas tant.
Les ides de mars sont venues, je suis tué. Je viens de revoir mes deux enfans nouveaux nés. Je les ay trouvez contrefaits et privez de tous les organes nécessaires à la vie. Il faut les regarder comme morts nez. J'en suis honteux, mais je me console, je suis jeune, j'en aurai d'autres et je les mettrai un jour sous votre protection et s'ils perdaient leur père vous auriez la bonté de les élever.
Je ne vois pas qu'aujourdui les autres pères de famille réussissent mieux que moy. La génération s'affaiblit beaucoup quoy qu'en dise mr Gudin. Je suis plein de reconnaissance pour lui; mais je n'en sens pas moins mon indignité. Je vous avoue que je suis encor plus indigné qu'il ait osé mettre ce détestable Emile de Jean Jaque au dessus du Telémaque. Passe encore s'il s'en était tenu à cinq ou six pages du Vicaire savoiard. Je ne suis pas comme le dieu jaloux qui ne veut pas qu'on encense d'autres dieux, mais je ne puis soufrir qu'on soit en même temps à Dieu et à Belzebuth. L'ouvrage sera goûté, il fera du bruit mais il fera du mal, car il encouragera les talents médiocres.
On m'a envoié un chevalier Deon gravé en Minerve, acompagné d'un prétendu brevet du roy qui donne douze mille livres de pension à cette amazone et qui lui ordonne le silence respectueux comme on l'ordonait autrefois aux jansenistes. Cela fera un beau problème dans l'histoire. Quelque académie des inscriptions prouvera que c'est un des monuments les plus autentiques.Deon sera une pucelle d'Orleans qui n'aura pas été brûlée. On verra combien nos mœurs sont adoucies.