17 mars 1760

Le tripot l'emporte sur la charüe et sur la métaphisique.
Vous êtes obéï mon divin ange, vous et madame Scaliger, un Tancrède et une Médime partent sous l'enveloppe de M^r de Courteil, et cecy est la lettre d'avis. Vous saurez encor que comme il s'agit toujours d'Arabes dans ces deux pièces, j'y ay joint un petit éclaircissement en prose sur le prophète Mahomet dont je mets quelques exemplaires aux pieds de madame Scaliger comme aux vôtres. Si vous connaissez quelque savant dans les langues orientales vous pourez l'en régaler. C'est du pédantisme tout pur.

Vous êtes bien véritablement mon ange gardien, vous me protégez contre le diablotau Fréron sans m'en rien dire. C'est la fonction des anges gardiens. Ils veillent autour de leurs clients et ne leur parlent point. Que voulez vous que je vous dise? Vous êtes plus adorable que jamais, et j'ay pour vous culte de latrie.

J'ay saisi l'occasion pour demander une espèce de grâce ou plus tôt de justice à M^r de Courteilles. On me persécute ne vous déplaise de la part du conseil. On veut que je sois haut justicier. On fait pendre (ou à peu près) de pauvres diables en mon nom. On me fait acroire que rien n'est plus beau que de payer les frais, et on va saisir mes bœufs pour me faire honneur. Je suis toujours en querelle avec le roy, mais je le mène beau train. J'ay déjà fait bouquer messieurs du domaine, je l'emporteray encor sur eux, car j'ay raison, et m^r de Courteilles entendra raison. Je vous en fais juge. Lisez la lettre que je luy écris, seulement pour vous en amuser, et pour la recommander. La charge d'ange gardien n'est pas avec moy un bénéfice simple. Vous avez encor eu l'endosse d'un abbé D'Espagnac. Tout cela est fini, je ne le traitte pas comme le Roy. Je crains un conseiller clerc bien davantage et j'aime mieux payer cent pistoles que je ne dois pas que d'avoir un procez avec un grand chambrier qui en sait plus que moy, mais pour le Roy, je ne luy en ferai point de grâce; il aura affaire à moy avec ma chienne de haute justice. Poussez cela je vous prie vivement avec M^r de Courteil.

Luc est plus fou que jamais. Je suis convaincu que s'il voulait nous aurions la paix. Je ne désespère encor de rien, mais il faudrait que M. le duc de Ch. m'écrivît au moins un petit mot de bonté. Cela n'est il pas honteux que je reçoive quatre lettres de Luc contre une de votre aimable duc!

Et M. le maréchal de Richelieu! autre négligent, autre pococuranté! que fait il? ne le voyez vous pas? n'a t'il pas des filles? ne rit il pas dans sa barbe de tout ce qui se passe? Est il vray que les jésuittes ont fait pour quinze cent mille francs de lettres de change qu'ils ne payent point? Il n'y a qu'à les mettre entre les mains des jansénistes, il faudra bien qu'ils payent.

Mon dieu que si j'ay de bon foin cette année je seray heureux!

Je baise plus que jamais le bout de vos ailes avec la plus tendre reconnaissance.

Madame Scaliger si je n'ay pas fait dans Tancrede tout ce que vous vouliez, écrivez contre moy un livre.

V.