1759-10-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

à mon cher ange

Il saura que sur ses ordres on transcrit à force la chevalerie et qu'on l'enverra incessament comme affaire du conseil, à Mr de Courteilles.
Pour la femme qui a raison, patience s'il vous plaît. Ce seroient deux femmes qui auraient raison en un jour et c'est trop à la comédie. Pour madame Scaliger qui fait la troisième, elle verra qu'on a été en tous les points de l'avis de ses remontrances. Au reste nous jouons après demain Mérope sur mon petit téâtre verd et or. Vous voyez bien mes divins anges qu'en faisant le rôle de Narbas, faisant bâtir, faisant mes vendanges et faisant battre en grange, je ne peux guères songer à la femme qui a raison.

Eh bien ne vous l'avai-je pas dit que si ce mr d'Espagnac était commissaire des remontrances il y aurait des difficultez? Quel homme! Plus il est épineux, plus je vous remercie.

à Monsieur l'ambassadeur

Si son excellence prend ce chemin de Geneve nous tâcherons de luy donner la chevalerie sur mon téâtre grand comme la main, et si elle luy plait nous serons bien fiers. Tous les spectateurs feront serment de n'en point parler, et je réponds que Paris n'en saura rien. Nous voudrions seulement savoir quand Monsieur l'ambassadeur passera par chez nous. Je luy réitère les plus tendres remerciments.

à Monsieur de Chauvelin l'intendant

Puisque ma sangsue ne sert qu'à le faire rire, je m'accomode sérieusement avec elle. J'aime à payer ce qui est dû, mais injustice et rapacité révoltent ma bile, et l'allument. Je suppose que Mr de Chauvelin a toujours la rage du bien public.

à Monsieur l'abbé de Chauvelin

Qu'il soit averti que les remontrances du parlement n'ont réussi dans aucun pays de L'Europe. Il est triste d'avoir la guerre contre les anglais, mais puis qu'ils nous battent, il faut bien que nous payions l'amande.

à monsieur Omer de Fleuri

A qui en avez vous mr Omer? Votre frère l'intendant est aimable, mais quelle fureur avez vous d'être un petit Anitus? On se moque de vous et de vos discours et de vos dénonciations. Mon dieu que cela est bête!

Somme totale

Le sens commun paraît exilé de France, mais il réside chez mes anges avec la bonté et l'esprit.

N.b. Comment pourons nous parler de ces grands chevaliers? et dire que tout français est à craindre tandis que tout le monde nous donne sur les oreilles? Ah mon divin ange que j'ay bien fait de me composer une petite destinée indépendante! que j'ay bien choisi mes retraittes! que je m'y moque du genre humain!

Atque metus omnes strepitum que Acherontis avari
subjicio pedibus.

Mais mon refrain, mon triste refrain est toujours que je mourrai sans avoir revu mon cher ange. Il n'y a pas d'apparence que je revienne dans le pays des Anitus et des Frérons. Je suis continuellement partagé entre le bonheur extrême dont je jouis, et la douleur de votre absence.

V.