1760-05-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville.

Si vous avez eu mal à la jambe mon cher marquis votre tête et votre cœur vont très bien.
Votre lettre m'a enchanté, tout ce que vous dites est vrai, hors les louanges dont vous m'honorez. La fin surtout de cette chevalerie était très languissante. Figurez vous que cela avait été imaginé, fait et envoyé en trois semaines. Les jeunes gens sont toujours un peu trop vifs, mais on fait ensuitte des retours sur soy même. J'ay l'impudence de penser que mademoiselle Clairon ne serait pas mécontente de la dernière scène. Oreste a des fureurs tout seul, mais des fureurs auprès de son amant qui expire, aux yeux d'un père qui est cause en partie de tant de malheurs, aux yeux de ceux qui avaient proscrit l'amant et condamné à mort la maîtresse, des fureurs mêlées de l'excez de l'amour, mais embrasser son amant qui meurt pr elle, mais repousser son père, et luy demander pardon, et tomber dans les convulsions du désespoir, si cela n'est pas fait pour le jeu de melle Clairon, j'ay tort.

Je crois qu'en tout le rogaton de la chevalerie est moins mauvais que le rogaton de Medime. Mais c'est à ceux qui me gouvernent à régler les rangs et l'ordre des siflets. Je n'ay point fait les quand, mais il me prend envie de les avoir faits. Il n'y a qu'à rire de tout ce qui se passe. Les philosophes surtout doivent rire, s'ils sont sages. On m'envoye de Paris les pauvretez cy jointes. On les dit de Robé. En ce cas Robé est un sage car il rit. La guerre des auteurs est celle des rats et des grenouilles. Cela ne fait de mal à personne. Jansénistes, molinistes, convulsionaires, Jean Jaques voulant qu'on mange du gland, Palissot monté sur Jean Jacques allant à quatre pattes, mtre Joli de Fleuri braillant des absurditez, les chambres assemblées, tout cela empêche qu'on ne soit trop occupé des désastres de nos armées et de nos flottes, et de nos finances. Il faut vivre en riant et mourir en riant. Voylà mon avis et la façon dont j'en use. Les Délices rient et vous embrassent.

N.b. on me reproche d'être comte de Tornex. Que ces Jean f. là viennent donc dans la terre de Tornet. Je les mettrai au pilori. N'allez pas vous aviser de m'écrire à M. le comte, comme fait Luc, mais écrivez s'il vous plaît à V. gentilho͞e orde du roy, titre dont je fais cas, titre que le roy m'a conservé avec les fonctions, car pardieu, ce qu'on ne sait pas, c'est que le Roy a de la bonté pour moy, c'est que je suis très bien auprès de made de P. et de M. le duc de Ch. et que je ne crains rien, et que je me f. de Joly de Fleury et de —, et de, ainsi que de Chaumex, et que je leur donnerai sur les oreilles dans l'occasion. Pourtant brûlez ma lettre et gardez le secret à qui vous aime.