1760-08-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon divin ange, il faut que notre ami Fréron soit en colère, car il ne peut être plaisant.
Je viens de voir le récit de la bataille où il a été si bien étrillé. Le pauvre homme est si blessé qu'il ne peut rire. Si vous pouvez mon cher ange nous rendre le premier acte tel qu'il est imprimé, vous ferez plaisir aux érudits qui aiment qu'on ne retranche rien d'une traduction d'un ouvrage anglais. Il parait que la petite guerre littéraire n'est pas prête à finir. Tant qu'il y aura des regardans il y aura des combattans, et il n'y aura que la lassitude du public qui fera tomber les armes des mains.

Je crois que Jerome Carré et frère de la doctrine crétienne et Catherinne Vadé et consorts ont rendu en très grand service à une certaine partie de la nation qui n'est pas peu de chose. Si on avait laissé dire et faire les Pompignans, les Palissot, les Frerons et même les maitre Joli de Fleuri les philosophes auraient passé pour une trouppe de gens sans honneur et sans raison. J'ay écrit une singulière lettre au Roy Stanislas en le remerciant du livre que frère Menou a mis sous son nom. Je l'enverrai à mon ange.

Venons au fait de Tancrede. Je crois qu'il faut bénir la providence de ce qu'elle a permis que M. le duc de Ch. n'ait pas regardé ce secret comme un secret d'état. Le spectacle en sera si frappant, la situation si neuve, le cinquième acte (j'entends les deux dernières scènes) si touchant, mademoiselle Clairon si supérieure, que vous en viendrez à votre honneur malgré Fréron.

Icy l'auteur s'embarasse, parce qu'il a un peu de fièvre. Ce n'est pas Fréron qui la lui donne. Il va faire mettre sur un papier séparé de petites anottations pour la Chevalerie.