à Ferney 5 auguste [1765] car je ne puis souffrir aoust
Mon cher philosophe si la cause que je soupçonnais, n'est pas la véritable, il y a donc des effets sans cause.
La raison suffisante de Leibnits est donc à tous les diables, car tout ce qu'on peut alléguer pour colorer l'injustice qu'on vous fait est parfaitement absurde. Mademoiselle Clairon dans son genre se trouve à peu près maltraitée comme vous. Elle a essuié assurément des choses plus désagréables. Je luy conseille ce que probablement elle fera et ce que vous luy avez conseillé. Pour vous mon cher et grand philosophe, je n'ay point d'avis à vous donner, vous n'en prendrez que de votre fermeté et de votre sagesse. Je n'ay rien à dire à m. le D. d. Ch. Je luy ai tout dit et puisque vous ne le croyez pas l'auteur de cette injustice, mon rôle est terminé. Tout ce que je sçais c'est qu'il y a un déchainement aussi violent que ridicule à la cour contre les philosophes, et pour compléter cette extravagance c'est le beau Siège de Calais qui a fait pousser à l'excès ce déchainement.
J'ignore si vous quitterez cette nation de singes et si vous irez chez des ours, mais si vous allez en Oursie passez par chez nous. Ma poitrine commence un peu à s'engager. Il serait fort plaisant que je mourusse entre vos bras en faisant ma profession de foy.
Mais pourquoy ne viendriez vous pas à Ferney attendre philosophiquement la fin des orages? Vous me direz peutêtre qu'on viendrait nous y brûler tout deux. Je ne le crois pas, nous ne sommes qu'au temps des Frerons et des Pompignans, et non à celuy des du Bourg et des Servet. D'ailleurs nous sommes tout deux bons crétiens, bons sujets, bons diables, on nous laissera en paix dans ma tanière. Ecrivez moy par frère Damilaville. Adieu, je vous aime autant que je vous estime.
V.