[à Fernay]20e Mars 1765
Vous étiez donc à Paris, mon cher ami, quand le dernier acte de la Tragédie des Calas a fini si heureusement; la pièce est dans les règles, c'est à mon gré le plus beau cinquième acte qui soit au théâtre.
Toutes les pièces sont actuellement à l'honneur de la France; les maires heureusement, réussissent mieux que les capitouls. Le rôle d'Elie Beaumont est bien beau. On va donner pour petite pièce la destruction des jésuîtes. Je ne sais si Mr D'Alembert en est l'auteur, et certainement, s'il ne veut pas l'être il ne faut pas qu'il le soit; mais il est venu chez nous ce brave Mr d'Alembert, et tous ceux qui ont eu le plaisir de l'entendre disent, le voilà, c'est lui, celà est écrit comme il parle; pour moi, je veux bien croire que ce n'est pas lui; mais je voudrais bien savoir quel homme a pris son stile, sa philosophie, sa gaieté, et qui partage avec lui l'héritage de Blaise Pascal, au jansénisme près.
Il me parait, à l'analise que vous me faittes que vous avez le nez fin. Je gagerais que vous avez raison dans tout ce que vous me dites. On dit que le temps est le seul bon juge; mais le temps ne décide que d'après des gens comme vous.
Je sais bon gré au président Hainaut de n'avoir point parlé de la minutie concernant les bourgeois de Calais. Il est bien clair qu'Edouard 3 n'avait nulle envie de les faire pendre, puisqu'il leur donna à tous de belles médailles d'or. Aureste, je suis très aise pour la France, et pour l'auteur qui est mon ami, que le Siège de Calais ait un si grand succez et je souhaitte que la pièce soit jouée aussi longtemps que le siège a duré.
Jean Jaques Rousseau, mérite un peu à ce qu'on dit icy l'avanture dont Edouard trois semblait menacer les six bourgeois de Calais mais il ne mérite point les médailles d'or. Le prétendu philosophe ne joue que le rôle d'un brouillon et d'un délateur. Il a cru être Diogène, et à peine a t-il l'honneur de ressembler à son chien. Il est en horreur icy.
On dit que messieurs du canton de Schweitz ont fait d'énormes insolences contre le Roy.
Ces petits cantons là sont un peu du quatorzième siècle. Je ne vous dis, mon cher ami, que des nouvelles de Suisse. Vous m'en donnez du séjour des agréments; on ne peut donner que ce qu'on a. Ma petite chaumière de Ferney est tranquile au milieu de tous ces orages. Je bâtis sur le bord du tombeau, mais je jouïs au moins du plaisir de faire pour made Denis un château qui vaut mieux que les petits cantons. Elle vous fait mille compliments. Buvez à ma santé je vous en prie avec Ciceron De Beaumont, et Roscius Garik. Adieu, ma tendre amitié ne finira qu'avec ma vie.
V.