1751-02-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Étienne Darget.

Mon cher amy voicy une lettre pour le roy que je vous prie de luy remettre.
Ma foy j'ay tort d'avoir voulu avoir publiquement raison contre un misérable et le roy a plus de bon sens que moy, comme il a plus de talent. Je ne sçais pas comment diable il fait pour être si sage en faisant des vers. Il seroit plaisant que je mourusse de cela. Je voudrois déjà être au marquisat, mais ce ne sera que pour le 6 ou le sept, car l'humeur s'est un peu jettée sur la poitrine, et les gencives n'en sont pas mieux. Malgré le peu d'aprobation qu'a eu la saignée de M. le c. de Rotembourg j'ay très grande foy à la Métrie. Qu'on me montre un élève de Borehave qui ait plus d'esprit, et qui ait mieux écrit sur son métier?

Mais qu'il guérisse vos yeux, voylà d'abord ce que je luy demande.

J'étois fort en peine de M. Damon et d'un gros paquet pour L'édition qu'on fait à Paris de mes rêveries, édition qui par parentèse ne vaudra pas mieux que les autres, parce qu'elle a été faitte sans me consulter, et pendant mon absence.

Ce Damon en arrivant chez moy a trouvé des Damis, des Erastes et des Angéliques et des Clarices qui l'attendoient à souper. On va le voir par curiosité comme un homme venant de la part de Federic le grand. Un certain marquis un peu bavard luy ayant fait une enfilade de questions fort longues mr de Tibouville qui n'avoit encor rien dit s'aprocha de L'oreille de Dammon, et luy dit, Monsieur je prends acte que tous les Français ne sont pas si pressants. Il a été huit jours enfermé chez moy sans sortir parce qu'il falloit qu'il ne fît point de visite avant d'avoir été présenté, et le roy de France est à Versailles tout le moins qu'il peut. Mr de Bouflers, colonel des gardes du roy Stanislas, a été tué sans qu'on sache trop comment. Tout le monde en raisonne, et demain personne n'en parlera. Vanité des vanitez! Adieu.